La violation de la Constitution : autopsie d’un Crime qui n’a jamais été commis
Cet article est paru dans la Revue du Droit Public et de la science politique en France et à l’étranger (dite Revue du Droit Public, ou encore R.D.P.), 2014, n°6, pp.-1617-1638.
Dans la doctrine contemporaine du droit constitutionnel, personne – ou presque – ne recourt à l’idée de violation de la Constitution pour décrire et analyser son objet. Personne même ne semble habilité à y recourir. On relève deux thèses sur le sujet, dont une très récente[1], mais aucun article ne lui est consacré[2], le recours à l’expression comme concept doctrinal autonome est très faible, dans les manuels notamment[3], et insuffisamment significatif[4]. La notion de violation de la Constitution apparaît plutôt réservée à trois autres catégories d’acteurs : les journalistes et les citoyens (que par commodité on range ici dans la même catégorie), les acteurs politiques, et le juge. C’est bien quand l’une de ces trois catégories l’utilise, que le constitutionnaliste, bon ouvrier de la description factuelle des événements normatifs et de la pratique qui les environne, s’autorise à la reproduire, à la condition que ce soit bien comme un objet qui lui serait extérieur. Le constitutionnaliste peut ainsi décrire le juge en train d’utiliser l’expression de violation de la Constitution, en cherchant la plupart du temps à en expliciter le sens[5], mais presque jamais n’en fait lui-même une utilisation autonome.
La notion de violation n’est pourtant pas tout à fait inconnue de la discipline juridique puisqu’elle a son entrée dans le Vocabulaire juridique de G. Cornu. Il y est distingué entre un « sens fort » et un « sens neutre plus atténué ». Dans le premier sens, fort, il s’agit d’une « atteinte caractérisée à une règle fondamentale », d’une « transgression », d’un « acte illicite dont la gravité tient en général à la valeur primordiale de ce qui est violé (violation des droits de l’homme, d’un principe, d’une frontière, etc.) »[6]. Dans un « sens neutre plus atténué », il s’agit de « l’inobservation d’une règle », de la « méconnaissance d’une obligation légale ou conventionnelle », la violation étant alors assimilée au « manquement », et ses contraires sont le « respect » et l’ « application »[7]. Voilà qui pourrait faire les affaires des constitutionnalistes, dans la mesure où la règle constitutionnelle est justement présentée comme une règle, éventuellement conventionnelle s’il s’agit d’un « pacte » social, et prétend être fondamentale. Les théories en la matière ne manquent pas, qui existent déjà depuis fort longtemps, pour rappeler les caractères et la fonction de la Constitution : acte fondateur, acte n’ayant besoin d’aucun principe supérieur pour commander son respect, etc. Dans son Droit des gens, Emer de Vattel considérait déjà que si « c’est de la constitution que ces législateurs tiennent leur pouvoir, comment pourraient-ils la changer, sans détruire le fondement de leur autorité ? »[8].
Dans le cadre du mouvement constitutionnaliste hérité des Lumières, l’écriture d’une Constitution a toujours supposé à la fois la nécessité d’encadrer l’exercice du pouvoir et la nécessité subséquente, de sa part, d’en respecter les limites. La fonction politique de la Constitution n’aurait ainsi pas de sens sans le respect juridique de celle-ci. C’est la plupart du temps la souveraineté populaire qui fonde cette idée aujourd’hui, même si la fonction de contrat de société, reconnue souvent à la Constitution[9], est néanmoins aussi déniée comme réalité, au moins concernant la société française[10]. C’est peut-être la raison pour laquelle, dans la théorie moderne, soulignait Dmitri-George Lavroff, il peut être considéré que la Constitution « vaut pour elle-même et non par référence à des principes ou valeurs supérieurs qu’il conviendrait de respecter parce que c’est en eux que la norme trouve sa justification »[11], analyse compatible avec la théorie juridique selon laquelle la juridicité seule fonde la validité de la Constitution[12]. Mais alors, que l’on reconnaisse une origine politique fondamentale ou une valeur en soi à la Constitution, l’impossibilité de « ponctuer » son autorité par l’idée de sa violation est tout à fait surprenante, et invite sans détours à une interrogation sur cette absence de ponctuation du discours constitutionnaliste.
Pourquoi le droit constitutionnel, comme discipline, est-il si avare d’une réflexion sur ce thème ? Serait-ce donc une question inintéressante, stérile pour la réflexion juridique ? Une réflexion sur les violations de la Constitution nous apprendrait-elle si peu qu’on ne doive pas s’y attarder davantage ? Quelle serait cette plus-value particulière, sulfureuse peut-être, et en réalité dangereuse, qui expliquerait aujourd’hui un certain soin porté à maintenir la discipline dans un effacement de son propre objet ? Sont-ce des obstacles « techniques » qui s’opposent à la possibilité disciplinaire de penser la pratique en termes de violation de la Constitution, ou y a –t-il des raisons plus intimes, éthiques, ignorées peut-être, qui contraignent dans ce sens la pensée constitutionnaliste ? Comme souvent, les obstacles techniques ne sont que la conséquence de choix dont les ressorts sont d’une toute autre nature. Il y a fort à craindre que les deux plus « sérieux » arguments développés au soutien de l’absence du concept de violation de la Constitution dans la doctrine constitutionnaliste[13], soient en réalité des obstacles de papier et de faux prétextes pour renoncer à l’utilisation du concept de violation de la Constitution, et donc de vrais prétextes pour ne pas arriver au texte de la Constitution. Il en va ainsi du statut de la Constitution et du statut de la doctrine, que les théories de l’interprétation et l’épistémologie choisies par les constitutionnalistes empêchent d’envisager dans leur dimension plénière (I). Partant, si on accepte de laisser ces obstacles à leur juste place, et de proposer que tant la Constitution que la doctrine réapparaissent, cela permettrait de s’apercevoir des lacunes originelles de la Constitution, savamment entretenues par la doctrine, à savoir l’absence des éléments fondateurs de son respect (II).
- Ecrit, interprétation et scientificité : les prétendus obstacles à la reconnaissance de la notion de violation de la Constitution
Le rôle de l’écrit dans la progression de l’encadrement du pouvoir en Europe – et sur le territoire américain singulièrement – n’est plus à démontrer. Sur le plan des idées, il s’agit de « montrer » la norme, à la fois aux organes politiques qui doivent exercer le pouvoir dans le cadre qu’elle définit, et aux gouvernés qui peuvent ainsi prendre la mesure du pouvoir légal[14]. La philosophie constitutionnaliste semble bien postuler les bienfaits de l’écriture dans la garantie des libertés, même si, dès la période révolutionnaire, plus personne déjà ne croit aux vertus de la Constitution en elle-même. Quoiqu’il en soit, la naissance du droit constitutionnel écrit s’appuie sur l’idée que le système coutumier est un système engendrant l’arbitraire car imprévisible, dépendant de l’action effective du pouvoir, incomplet, et empreint d’incertitudes quant à sa portée et son étendue. L’écriture apparaît alors comme un remède à l’ensemble de ces maux dont souffrait le système coutumier, et elle a été, pour la royauté, un moyen de centralisation du pouvoir, centralisation qui sera par la suite l’outil de la Révolution. La Constitution à écrire devait être la dernière pierre à cet édifice, qui donnerait finalement son unité à un pouvoir qu’on voudrait désormais libéral, puis, beaucoup plus tard, démocratique. La constitution, politique et sociale, si elle est écrite, devient aussi le fondement juridique de l’ensemble des normes du système juridique, en lui conférant sa légitimité d’action, la rendant théoriquement « acceptable » par les individus formant la communauté politique. La « référence constitutionnelle » a plus que la valeur d’un symbole, en permettant, théoriquement encore, que les valeurs qu’elle porte se prolongent dans les autres normes. Il devrait ainsi en ressortir que les normes écrites sont bien des instruments de mesure et d’évaluation de la pratique et de leur application[15], qui appellent sans aucun doute aussi les notions de transgression ou de violation. Mais les théories modernes du langage ont conduit à nier cette plus-value de l’écrit et, avec, la possibilité de penser théoriquement la violation des normes. Cette opération serait ainsi réservée à ceux qui ne font pas de théorie, les politiques eux-mêmes, les citoyens bien sûr, les juges enfin. Mais ceux qui font profession de connaître sérieusement, c’est-à-dire scientifiquement, la chose constitutionnelle, ne pourraient jamais en user. L’écrit disparaîtrait ainsi dans l’opération d’interprétation (1), entraînant par la même occasion la disparition de la doctrine dans l’opération d’observation de la pratique constitutionnelle à laquelle elle s’aliène pour conserver sa légitimité scientifique (2), deux conséquences de l’adoption idéologique de présupposés dits scientifiques.
- L’impossible violation de la Constitution : regard sur une idéologie scientifique
Un courant important du droit – et plus diffus qu’il n’y paraît – fait que l’analyse de la norme transite par l’interprétation, de telle sorte que norme et pratique ne sont pas distinguées du point de vue de leur signification. Alors, « l’interprétation – si elle est interprétation et pas davantage – se confond, par une fiction nécessaire, avec l’acte interprété »[16]. Il existe aujourd’hui de nombreuses théories, héritières du fameux « tournant linguistique », qui soutiennent l’idée que toute signification est le résultat d’une détermination de celle-ci, et qui, pour l’essentiel, par le biais de l’interprétation, échappe à son auteur initial[17]. La signification d’un énoncé normatif n’est ainsi la conséquence que de l’opération d’interprétation, opération dans laquelle l’interprète seul joue un véritable rôle. Partant, on comprend qu’il peut exister plusieurs interprétations pour un même énoncé. Deux possibilités théoriques se présentent alors, qui ont toutes deux le même type de conséquences au plan de la reconnaissance de la notion de violation de la Constitution en doctrine.
La théorie réaliste de l’interprétation[18] nie à l’interprétation son caractère de « connaissance » de la signification de la norme, pour, au contraire, la faire résulter d’un choix plus ou moins délibéré[19] entre plusieurs significations possibles. Il s’ensuit qu’il est nécessaire de se concentrer sur l’opération d’interprétation pour connaître la norme, plus que sur les conditions de production de l’acte initial qui deviennent, en tout état de cause, accessoires. Le procédé s’apparente alors à une fiction, en ce sens que sont donnés pour équivalents des actes entre lesquels il est pourtant impossible d’établir un lien ontologique. Il en résulte notamment que, quel que soit le support de la norme, écrit ou non écrit, celle-ci est toujours considérée de manière identique à travers l’acte d’interprétation et attributif de signification. Le support importe peu, puisque c’est la signification de ce commandement qui importe. Mais plus, la théorie réaliste de l’interprétation consiste à reconnaître que la « bonne » signification de l’énoncé normatif est celle qui est donnée par l’interprète authentique, c’est-à-dire celui auquel le système juridique lui-même a donné, implicitement ou explicitement, le dernier mot[20]. En suivant cette théorie, seul l’interprète authentique pourrait conclure à une violation de la Constitution, mais cette idée est rendue impossible par le fait que c’est en donnant sa signification à la norme qu’il l’applique : il ne peut donc jamais la violer. Son interprétation sert par ailleurs de référence à la doctrine, qui n’a aucun moyen théorique de déterminer une autre signification de la norme, car celle-ci est donnée par l’interprète authentique.
La seconde théorie consiste à conserver l’idée que s’il y a plusieurs significations possibles, c’est qu’il n’en existe pas une seule, et qu’au surplus, celle-ci est non seulement susceptible d’évolution, mais plus encore doit évoluer : c’est l’hypothèse de la Constitution vivante. Dans le Dictionnaire de droit constitutionnel paru en 1992, Dominique Rousseau, qui s’est chargé de l’entrée « Constitution », indique que l’existence du contrôle de constitutionnalité par le Conseil Constitutionnel implique de « définir la Constitution comme un acte vivant », et « oblige à reconsidérer le caractère traditionnellement reconnu à ce texte. Il n’est plus possible de la penser comme un écrit possédant par et en lui-même une signification s’imposant comme obligatoire aux acteurs politiques puisque, précisément, le sens de ses dispositions n’est jamais fixé une fois pour toutes mais sans cesse redéfini »[21] ; et il ajoute un peu plus loin que « la Constitution devient, avec le temps, un système de ressources dont il peut être fait des usages différenciés selon les conjonctures politiques »[22]. Cela signifie qu’il n’est pas non plus possible, selon cette théorie, d’envisager théoriquement – et pratiquement donc – des hypothèses de violation de la Constitution, car il est impossible de « poser » une signification déterminée. La doctrine peut alors certes proposer des interprétations, mais jamais envisager de violations de la Constitution, au moins jamais envisager que sa propre interprétation puisse tomber « juste ».
En suivant ces deux théories, l’une étant la plupart du temps rejetée par l’autre, et inversement, la notion de violation de la Constitution est donc théoriquement et pratiquement impossible pour la doctrine constitutionnaliste. Telle qu’elle est souvent présentée – un « écart » entre la norme et sa pratique – la notion de violation de la Constitution supposerait que puisse être établie une signification identifiable, en quelque sorte « objectivement », c’est-à-dire indépendamment de la pratique, pour conclure à une violation potentielle de la norme. Or, soit c’est pratiquement impossible dès lors qu’il n’existe pas qu’une seule interprétation (deuxième théorie), soit c’est précisément le destinataire final de la norme, l’interprète authentique, qui établit cette signification, qu’il ne saurait donc logiquement et simultanément définir et violer par un même acte (première théorie). Autrement dit, soit la notion de violation de la Constitution est impossible à mettre en œuvre pour la doctrine, soit elle est théoriquement impossible.
Voilà tout de même qui est bien fâcheux pour le constitutionnalisme. Comme pour toute écriture juridique, « l’activité d’écriture consiste pour le constituant à réaliser le pari que les mots qu’il choisit (…) fassent ‘sens’ auprès des pouvoirs constitués, c’est-à-dire au sein de la communauté qu’il a créée et qu’il invite avec force à s’approprier »[23]. Dominique Rousseau relève le caractère problématique de la théorie réaliste de l’interprétation au regard des origines et des ambitions du constitutionnalisme : dès lors que l’on considère que la constitution comme acte « ne dit rien », en elle-même, « elle ne peut informer sur la qualité démocratique d’un régime politique comme elle ne peut être une limite ou une contrainte pour l’exercice du pouvoir »[24]. Il est vrai que ce n’est pas tout à fait le cas de la théorie de la Constitution acte vivant, qui avance la possibilité de l’existence de plusieurs significations d’un même énoncé, y compris dans le temps. Et pourtant, s’il existe une différence notable entre les deux théories, toutes les deux invalident la possibilité pour la doctrine constitutionnaliste de forger un concept autonome de violation de la Constitution. Dans les deux cas, l’écrit ne peut être présenté comme une valeur de référence pour d’autres acteurs que les pouvoirs constitués eux-mêmes. Et même, il est douteux que les membres du corps politique puissent eux-mêmes utiliser les énoncés comme valeur d’appréciation de l’exercice du pouvoir. Ils ne peuvent qu’en donner une interprétation. C’est par absence d’enjeu – pourquoi y en aurait-il puisque la Constitution ne dit rien ? – que l’on « tolère » que d’autres acteurs utilisent la notion de violation de la Constitution. Seul finalement le juge, comme pouvoir lui-même constitué, prend la liberté de parler de violation de la Constitution, et encore n’en fait-il pas aujourd’hui une catégorie fondamentale de son contrôle[25].
Au risque de réveiller un débat que d’aucuns pensent dépassé, il semble pourtant que l’on ne puisse établir qu’une discontinuité d’ordre structurel dans les liens entre l’écrit sur lequel repose la Constitution moderne, et le non écrit : il s’agirait plutôt de les envisager l’un contre l’autre. Il y a même une contrariété irréductible entre l’hypothèse que les pratiques des pouvoirs institués seraient normatives, et les postulats du constitutionnalisme qui s’opposent à la normativité de ces pratiques. L’écrit originel et constitutionnel se présente autant comme un moyen de poser que de refuser. L’exemple américain est manifeste, qui, par deux écrits successifs, refuse l’oppression de la Couronne britannique, refus écrit auquel aujourd’hui les membres du peuple américain vouent une reconnaissance symbolique. Comme l’a souligné Marie-Anne Cohendet, à propos du cas français, si, hélas, on peut aujourd’hui donner l’illusion que c’est la pratique de la constitution qui détermine la « vérité constitutionnelle », c’est sans doute « parce que la légitimité de la pratique pourrait paraître plus forte que la légitimité de la règle de droit »[26]. Cette illusion résulte évidemment d’un choix. On peut certes dire que le constitutionnalisme s’est trompé en pensant que l’écrit serait le moyen le plus efficace de « dire » comment une société pense son pouvoir. Mais alors, comment, dans le même temps, considérer que la Constitution écrite sert de valeur de référence pour l’institution des pouvoirs qui en tirent leur légitimité ?[27] Dira-t-on, pour justifier l’absence de valeur de l’écrit, que d’autres mécanismes ont pris le relais de l’écriture, tel que le contrôle de constitutionnalité des lois par exemple, pour donner sa force à la Constitution ? Si relais il y a, se pose toutefois et de nouveau la question de la valeur des énoncés produits à partir des énoncés de la Constitution. Le choix du constitutionnalisme passe par la reconnaissance de l’attribut symbolique et signifiant des mots, ce qui relève tout autant de l’idéologie que les théories de l’interprétation elles-mêmes. Mais peut-on faire de l’idéologie quand on est constitutionnaliste ?
- L’impossible évocation de la violation de la Constitution : regard sur une idéologie scientiste
L’ambition du juriste est bien souvent d’affirmer une attitude scientifique par rapport à son objet, qui, de ce point de vue, le placerait par exemple dans une situation comparable à celle du physicien. C’est en partie la neutralité vis-à-vis de son objet qui conditionne la scientificité de l’activité. On dit souvent que c’est la méthode employée, la discipline, qui fabrique son objet. Dès lors, pour être scientifique, un juriste devrait délimiter son objet en remplissant les critères de la neutralité et de la scientificité, c’est-à-dire de telle manière qu’il n’aurait qu’à prendre son objet tel qu’il est, sans n’y pouvoir rien changer. La neutralité est ici envisagée comme une mise à l’écart délibérée du sujet par rapport à son objet, mais aussi comme une mise à l’écart délibérée de certains éléments de cet objet. Notons que le physicien, lui, n’a pas vraiment le choix : il doit prendre les lois physiques pour ce qu’elles sont, et son objectif est bien souvent de les comprendre, de les expliquer, mais il peut aussi s’en servir pour atteindre certains buts. Quoiqu’il fasse, il doit faire avec ces lois, et aucune autorité ou puissance – si l’on excepte la croyance en une puissance surnaturelle – ne pourrait s’en déprendre. Sur ces bases, la question de la neutralité du physicien par rapport à son objet ne se pose pas vraiment : il peut déplorer que cela se passe comme ci ou comme ça, mais, en tant que tel, ne peut avoir d’influence sur les « lois » qui sont à l’œuvre. Tout au plus peut-il proposer des solutions pour mettre ces lois de son côté, parce qu’il veut obtenir tel ou tel résultat. Le choix du résultat visé ne dépend pas tant de sa discipline que d’autres types de considérations totalement extérieures aux phénomènes qu’il traite. Le problème est que, précisément, contrairement, semble-t-il, aux lois physiques universelles, le droit, lui, peut être changé à loisir[28]. Cela va même plus loin, car le juriste scientifique qui accèderait aux fonctions de législateur pourrait lui aussi participer au changement du droit. L’histoire est pleine de ces juristes qui ont aidé à la fabrication de la loi… comme si le physicien aidait à la constitution des lois physiques ! C’est sans doute là la raison pour laquelle les juristes ont souhaité, à un moment, se distinguer des politiques, en établissant un objet proprement scientifique, pour ne pas être confondus avec leur objet. Le problème est que le découplage n’a pas bien réussi, les juristes étant encore souvent assimilés à des agents du pouvoir, ce qui est tout de même un paradoxe par rapport à l’ambition initiale. Comment expliquer cela, notamment pour les constitutionnalistes ? Sans doute par la manière dont ils définissent leur objet.
On peut dégager à gros traits deux tendances principalement : celle qui privilégie l’étude des énoncés normatifs, leur structure, leur articulation, leur fonctionnement, et celle qui y ajoute l’application factuelle de ces normes. Dans tous les cas, il s’agit pour les constitutionnalistes de décrire ces normes et ces pratiques. Parfois, les énoncés officiels du droit et les pratiques du droit sont assimilés dans un même mouvement : le présupposé implicite est alors que ce qui peut se décrire sous une forme ordonnée et répétitive, avec force d’autorité, peut être considéré comme du droit, surtout du droit constitutionnel. Quel que soit le parti choisi, décrire doit rester une activité neutre. Or, ce qui se donne à voir d’emblée, c’est que la notion de violation de la Constitution semble au contraire devoir impliquer une évaluation de la pratique politique au regard des prescrits constitutionnels. Elle a une connotation de non neutralité. Et comme la doctrine constitutionnelle se propose de ne pas interférer sur l’objet qu’elle étudie, elle ne doit pas porter de jugement de valeur, mais se contenter de rapporter ce qui est. Du même coup, la science telle qu’elle est présentée, implique d’ignorer la non neutralité du droit. Car le droit apparaît toujours comme un moyen ou une réalisation du pouvoir, qui poursuit, consciemment ou non, certains objectifs déterminés. De ce point de vue, le droit ne peut se présenter comme neutre. Alors le juriste se trouve nécessairement dans une position distincte de celle du physicien, car les lois dont ce dernier fait son objet restent bien et définitivement neutres, c’est-à-dire indifférentes aux valeurs humaines. Le problème, car c’en est un, est que la science du droit tend à objectiver son objet de telle manière que celui-ci prend les apparences de la neutralité. Pour cela, il a dû procéder à un nettoyage à sec, à une mise à l’écart, condition de sa neutralité. Dans le meilleur des cas, le juriste pourra dire qu’il le sait bien, que le droit n’est pas neutre en effet, mais que lui ne s’occupe que de ce qui, dans le droit, est indépendant de toute considération de valeur, à savoir par exemple le fonctionnement hiérarchique du droit, selon un mode dynamique. Mais, si cette posture est évidemment possible, qu’apporte-t-elle, du même coup, à la connaissance du droit ? Richard Abel résume la problématique en disant que « le droit, c’est à la fois des règles et de la politique, un idéal et la réalité, quelque chose de neutre et de partisan, au-dessus de la bataille et en plein milieu d’elle »[29]. La difficulté en effet, qui n’existe pas pour les sciences physiques, est de vouloir faire abstraction d’un élément qui, quoique l’on en dise, fait corps avec l’objet de la discipline. Le droit, comme expression d’une autorité, poursuit toujours un ou plusieurs objectifs spécifiques : les normes qui le constituent ne sont jamais « suspendues », détachées de leur vocation. La technique d’une règle ne prend sens qu’en regard de cette vocation, et cela, quelle qu’elle soit. On peut ainsi admettre que le droit nazi puisse effectivement être considéré comme du droit, à la condition de comprendre en quoi les bases axiologiques et les objectifs sur lesquels il reposait, en faisait un droit en marge de la tradition occidentale moderne, à la condition d’expliciter précisément toutes les valeurs véhiculées par les règles édictées, bref, à la condition de ne pas y voir seulement des règles valides formellement, mais des règles qui trouvent leur fondement dans telle ou telle idéologie, et dont la portée technique était plus ou moins importante. Mettre en lien le caractère technique de la règle avec ses raisons d’être, permet seul de saisir la norme juridique telle qu’elle se présente. Au lieu de cela, les juristes se parent des vertus de la science et, en limitant leur regard, n’apportent rien véritablement à la compréhension d’un phénomène social majeur, quand les physiciens eux, parviennent plus sûrement à expliciter le monde. Il y a là une forme indéniable de censure, comme une loi non écrite, qui semble toucher très fortement les constitutionnalistes. Le voile de la censure a une fonction de déviation par rapport au réel, tandis que l’absence de neutralité supposée par l’appréhension des valeurs, est elle-même présentée comme déviante. Le voile de la neutralité et de la censure fonctionne comme un premier commandement de la doctrine, sa fonction étant de lui donner sa valeur de discipline sérieuse, voire scientifique.
S’agissant de la notion de violation de la Constitution, le quasi sacrilège que constituerait son emploi résulte en partie de ce qu’à travers l’opération éventuelle d’interprétation de la Constitution, c’est en réalité l’interprète qui est en cause, donc l’acteur censé disposer de la légitimité institutionnelle. Et, dans la philosophie du constitutionnalisme, la légitimité institutionnelle (celle qui vient de la constitution), emprunterait un peu des lois physiques : elle ne se discute pas. Mais la différence est que si on peut accepter le droit comme droit, comme susceptible de s’imposer à tous, on peut aussi et simultanément en discuter le contenu, y compris comme juriste, et être amené à discuter, c’est-à-dire surtout à chercher à expliciter, les valeurs qui sont véhiculées, car des valeurs, il y en a à chaque coin de règle. A son corps défendant, et pour reprendre un vocabulaire contemporain, le juriste est aussi un « lanceur d’alerte », capable de repérer avec précision l’axiologie véhiculée par une norme, ou une interprétation de norme. S’il n’était capable de le faire, il ne serait pas juriste. A quoi même serviraient les juristes s’ils ne disaient rien, c’est-à-dire rien de plus vraiment que leur objet ne le dit lui-même, au moins s’ils n’en dévoilaient pas ce qui en est le plus ou le moins affleurant ?[30] La réflexion n’est pas nouvelle, elle est même récurrente. Alors pourquoi est-ce que, si le monde de la doctrine sait aujourd’hui qu’il n’y a pas de neutralité possible dans son propre discours, il feint encore, par sa pratique, de ne pas le savoir ? S’agirait-il simplement d’un retard dans la compréhension du phénomène, ou d’une véritable résistance à ce qui s’ignore ?
La plupart des auteurs adoptent aujourd’hui une attitude ambivalente. La résolution qui semble faire son chemin ces dernières années, est l’idée d’une chronologie entre deux types d’activités : celle de description, puis celle critique[31]. Il s’agirait ainsi, à partir du travail de description des systèmes et formes constitutionnels, de continuer le travail, « dans une appréciation assumée, revendiquée, exposée à la critique publique, de ces systèmes et formes »[32]. La dissociation entre la description et l’activité critique paraît à première vue plutôt salutaire. Mais elle a l’inconvénient de confirmer les codes et le voile de la censure. Pourquoi y aurait-il nécessairement une séparation chronologique et ontologique entre l’activité de description et l’activité présentée comme critique ? Dire par exemple que l’application d’une norme, dont on peut identifier qu’elle s’insère dans un système qui poursuit un objectif de justice sociale, qu’elle ne contribue pas à la poursuite de cet objectif, paraît toujours bien relever de l’activité de description, à partir du moment où sont présentés les éléments qui paraissent propres à définir cet objectif. Il n’y a là rien de plus simple : que chacun de ces éléments puisse faire l’objet d’une discussion n’y change rien. Partant, dire de l’application d’une norme poursuivant un objectif déterminé, lui-même défini de telle ou telle manière, qu’elle contrarie cet objectif, pourrait bien être qualifiée de violation de la Constitution, de manière purement descriptive. Sans qu’il s’agisse de se prononcer sur la pertinence des valeurs poursuivies, il s’agit au moins de les comprendre et d’en expliciter la réalité, dans ses applications. Si les valeurs ne sont pas « connaissables », la conception des valeurs, elle, l’est, et, s’agissant du droit, doit l’être. Il ne s’agit pas de prononcer des sanctions, ni de se comporter en censeur, il s’agit toujours d’émettre des jugements de réalité sur un système, en bref, de le décrire dans sa réalité, et de soumettre celle-ci à la discussion[33]. Les constitutionnalistes contemporains oscillent constamment entre la « vertu » de la règle (celle du juge, souvent) et la « réalité » de la pratique, pris entre le désir de se convaincre du caractère efficace de la règle et la crainte de manquer à la fin première de la science du droit, à savoir la description. Par là, ils manquent presque complètement leur objet, en ne décrivant pas, n’évaluant pas et ne comparant pas tout ce qui peut et doit l’être.
- Interdits, violations et sacré : les lacunes originelles de la Constitution comme acte fondateur
Le constitutionnalisme se présente et est avant tout présenté comme une ambition, et même un pari. Comme la règle elle-même n’emporte que la force de son énoncé, il s’agit bien en effet de la considérer comme un pari, celui qu’on obtiendra non seulement l’obéissance des sujets, mais aussi la réussite de l’ambition soutenue par le droit en général. Peut-être est-ce sur le contenu de l’ambition que les opinions divergent le plus : contrat social pour les uns, organisation des pouvoirs seulement pour les autres, les deux parfois. Mais il s’agit toujours de permettre, par des règles, de parvenir à un état déterminé. On constate par exemple que c’est en observant la pratique et l’usage des règles constitutionnelles relatives à l’engagement de la responsabilité ministérielle sous la IVè République, que le texte de la Constitution de 1958 envisage une règle sensiblement différente, pour obtenir le résultat effectivement souhaité. Il est souvent arrivé dans l’histoire constitutionnelle française qu’une nouvelle Constitution tente d’empêcher des pratiques commises sous l’empire de l’ancienne constitution. Cela n’a cependant pas toujours emporté les conséquences initialement souhaitées. Car, encore une fois, il n’existe pas de lien logique entre les normes et leur application. Toutefois, on ne peut pas vraiment douter de ce que les normes juridiques ont, en général, une influence. Ne dérive-t-on pas souvent la validité d’un système juridique du fait que celui-ci est « en gros et en général efficace »[34] ? La dimension performative du droit existe, soit que les comportements s’y conforment, soit que, dans un contexte particulier, son existence détermine l’orientation de certains comportements. L’instrumentalisation de la règle par leurs destinataires par exemple, correspond à l’une des dimensions performatives du droit, même si ce n’est pas toujours dans le sens souhaité. C’est en essayant d’analyser les éléments pratiques de cette portée qu’on essaie, en général, de modeler une ingénierie juridique, y compris constitutionnelle. Pourtant, le caractère performatif de la Constitution apparaît quelque peu douteux. Comment mesurer la réussite du projet constitutionnel ? Quelles sont les influences réelles exercées par les normes constitutionnelles sur les comportements de leurs destinataires ? Les énonciations constitutionnelles ont-elles valeur de signifiants pour leurs destinataires ? Ces questionnements convoquent souvent des réflexions sur la place chronologique du droit par rapport à l’état des mœurs sociales : vient –il prendre acte de cet état ou contribue-t-il, par ses innovations, à le former ? Est-il plus efficace dans un cas plutôt que dans un autre ? Il est probable qu’il manque de très bonnes études sur cette question, mais on relève que ce n’est pas de la réponse qui pourrait en être donnée que dérivent les caractéristiques principales du droit. Si la contrainte est encore souvent avancée comme le critère de la norme juridique[35], elle ne prend elle-même sens que par les interdits et prohibitions que le droit formule, et qui, en partie, le constituent. Si le droit ne fait pas que véhiculer des interdits, s’il pose aussi son « cadre », sa manière de voir le monde, s’il institue des formes justement, il est intéressant de s’apercevoir qu’elles ne sont pas toujours assimilées par les anthropologues à des règles juridiques, parce que ces formes n’en font pas le grain. Il n’est donc pas très étonnant que la Constitution ait eu tant de mal à être assimilée elle-même à une règle juridique, y compris chez les juristes : et pour cause, elle ne pose, apparemment, pas d’interdits. Elle « constitue », ce qui n’est pas la même chose (1). Du point de vue du caractère que l’on voudrait « sacré » de la Constitution, il s’agit d’une lacune originelle qui, au lieu d’être repérée et soulignée par la doctrine, paraît bien lui devoir d’être maintenue (2).
- L’objet de la performativité du droit constitutionnel : la « constitution » sans l’interdit
La Constitution dit quelque chose du groupe social qui s’y réfère : du point de vue de son existence même, de son édiction et des conditions de son édiction, du point de vue de son contenu, de son application, et de sa non application. S’il apparaît qu’on a voulu faire de la Constitution, dans ses origines, un texte « sacré », comment donc ne pas constater ce qui lui manque d’abord pour cela : la consécration de l’interdit ? En effet, la Constitution interdit peut ; elle dit surtout comment il faut faire, plus que comment il ne faut pas faire. Il n’est pas étonnant alors que la notion juridique d’infraction, conséquence de l’interdit normatif, soit parfaitement absente du droit constitutionnel[36], là où elle prospère dans toutes les autres branches du droit, y compris dans le droit international. L’infraction est définie comme un « comportement actif ou passif (action ou omission) prohibé par la loi et passible selon sa gravité d’une peine principale, soit criminelle, soit correctionnelle, soit de police (…) »[37]. A première lecture, on comprend que l’infraction suppose une « loi » d’interdit fondateur, au sens de référence fondatrice. La Constitution « constitue », institue, et, par conséquent, n’interdit pas vraiment. La Constitution fait apparaître en même temps le pouvoir et celui qui est censé le donner. Ce faisant, elle institue ce pouvoir d’une certaine manière, en lui disant comment il peut s’exercer. On remarquera que, de ce point de vue, l’écrit constitutionnel apparaît aux yeux de tous comme parfaitement « compréhensible », en ce qu’il institue deux ou trois pouvoirs, en ce qu’il les institue, sur des bases électives ou non, en ce qu’il institue des organes de contrôle ou non, etc. Pour saisir tous ces éléments, il se trouve que la doctrine ne discute finalement qu’assez peu des différentes interprétations possibles des énoncés instituants : qui douterait par exemple que le Conseil constitutionnel puisse être saisi par les autorités mentionnées dans la Constitution ? En revanche, la doctrine rejette facilement l’idée de violation de la Constitution en brandissant le bouclier de l’interprétation et dissout la notion par la même occasion. Politiquement, les hypothèses de violation de la Constitution sont pourtant envisagées dès l’instant où celle-ci est rédigée : on a considéré que c’était de la nature et de la raison mêmes d’une Constitution que de fonder et de limiter en même temps le pouvoir des gouvernants, et qu’il y aurait sans doute quelques raisons pour ceux-ci de ne pas rester dans le cadre institué. Les débats révolutionnaires montrent cette préoccupation, mais ne perçoivent pas tout à fait ce qu’elle recouvre en prétendant en avoir dissous les causes. En effet, non seulement l’agencement constitutionnel des pouvoirs empêcherait que la Constitution puisse être violée, mais on s’appuie implicitement sur l’idée également que la reconnaissance unanime de la nécessité d’une Constitution la protège en quelque sorte de tous les maux. Point d’interdit explicite. La violation de la Constitution se trouve en quelque sorte étouffée dans l’œuf. Cette absence rend difficilement concevable la transgression.
Il n’est pas inutile de faire un très léger détour, pour découvrir ce que la sociologie et la psychanalyse éclairent d’un autre jour. Eugène Enriquez fait une distinction entre les sociétés anciennes (ou non occidentales) et les sociétés modernes, qui repose sur une structuration différente entre le souverain et le groupe social : « Pouvoir sacré oui, pouvoir total non. Il existe une négociation (sous la forme de la licence) entre le souverain et les sujets. Le sacré est l’engagement à la non formulation de nouveaux interdits. Il scelle le pacte des ancêtres, du souverain et du groupe. Il dit que tout sera fait selon la loi. Situation radicalement différente des sociétés modernes, où les nouveaux êtres sacrés sont toujours pourvus d’un pouvoir exorbitant qu’ils peuvent de plus en plus outrepasser »[38]. On ne saurait mieux décrire le système contemporain, quand bien même il développe par ailleurs un système de protection des droits et libertés des individus. Le constitutionnalisme, à l’aide de la doctrine, se construit ainsi sur la capacité transgressive unilatérale du souverain – au sens de celui qui exerce le pouvoir- alors qu’il s’agirait d’instaurer une idée de réciprocité. Enriquez poursuit en effet que « la transgression du sacré, à des moments déterminés, réinstaure le social en faisant payer au souverain la dette contractée envers son peuple. Il l’oblige à respecter la loi et à ne pas abuser de son pouvoir »[39], c’est-à-dire que le peuple rappelle au souverain son pouvoir, en transgressant sa loi. Ce n’est pas l’inverse, où les organes de pouvoir transgresseraient la loi du peuple, pour lui rappeler son propre pouvoir. Car enfin, qui peut encore croire à cette fable de la souveraineté du peuple ? Le peuple n’est pas souverain, non pas parce qu’il ne devrait pas l’être, mais parce qu’il ne l’est pas, tout simplement. Le rôle de l’absence de transgression possible de la loi par le pouvoir souverain, c’est-à-dire par celui qui exerce le pouvoir, n’est certainement pas étranger à ce constat. La place et le sens de la transgression relevés par Eugène Enriquez, à partir de Frazer et Freud, sont à mettre en lien avec ce qu’il dit un peu plus loin sur la démocratie : « ce n’est pas l’acceptation des règles du jeu, c’est le jeu avec les règles, ce n’est pas le respect de la légalité, c’est l’essai de construire une légitimité non contestable et toujours contestée »[40]. Et il poursuit : « Si les lois sont l’expression d’êtres humains défaillants et faillibles, pour quelles raisons seraient-elles vénérées autant que si elles émanaient d’un pouvoir indiscutable. Dans toute démocratie, la transgression est constante, la corruption continue, le gangstérisme la tentation toujours recommencée ».
S’il est vrai que « l’interdit appelle la transgression »[41], et donc la norme juridique sa violation, l’un et l’autre ne sauraient être confondus dans un même mouvement. Il est au contraire capital de les identifier chacun dans leur singularité. D’abord parce que, s’ « il est inutile d’interdire ce vers quoi l’esprit humain ne penche pas » (et qui peut être ou non une loi naturelle)[42], la transgression est non ce qui constitue l’interdit, mais ce qui lui donne sa valeur, ce qui n’est pas la même chose. La violation d’une règle peut ainsi la faire basculer dans le domaine du sacré, entendu au sens de Durkheim quand il dit que « les choses sacrées sont celles que les interdits protègent et isolent »[43]. Il y a dans le sacré l’idée d’une séparation entre ce qui relève de l’ordinaire et ce qui relève d’une protection spécifique. Le vocabulaire de Morfaux indique d’ailleurs un troisième sens du terme sacré qui, en droit et en morale, par extension, signifie « ce qui est respectable et inviolable » (à l’instar des « droits sacrés de la personne humaine »)[44]. Pourrait-on mieux parler à propos de l’ambition constitutionnelle originelle ? Pour cela toutefois, il est nécessaire que la notion de violation soit reconnue comme telle. Si on veut faire de la Constitution un acte sacré, il est nécessaire de mettre l’accent sur la possibilité et l’existence de sa violation : confondre ce comportement avec la règle concernée en dissout aussitôt la portée symbolique et son caractère de support de l’organisation sociale. Lorsqu’on fait d’une pratique contraire à la règle une nouvelle règle de même valeur, ce qui est tout de même la marque du constitutionnalisme contemporain, on opère une négation de la valeur de la Constitution, et donc de l’objet de la doctrine. Et, au-delà du fait qu’on peut bien conclure que la Constitution ne peut être considérée comme fondatrice et sacrée, parce qu’elle ne pose pas d’interdits fondateurs, c’est somme toute, parce que, en conséquence, elle n’implique à proprement parler pas de possibilité de violation de la Constitution. Au surplus, comme le sacré s’inscrit dans un processus d’acquisition toujours renouvelé, il y a comme une nécessité que se rappelle constamment la règle, qui ne peut se faire qu’en passant en quelque sorte par son contournement, à la condition évidemment que celui-ci soit véritablement envisagé par tous comme un contournement. Ce n’est pas le juge ou tout autre mécanisme qui fait le caractère premier et potentiellement fondateur de la Constitution, c’est elle-même dans son arrangement initial, dans ce qu’elle dit du groupe social de référence, et c’est ensuite ce qu’en dit le groupe social. Partant de là, la doctrine qui ne parle pas de violation de la Constitution en donne des justifications d’ordre scientifique, alors que les raisons se nichent au cœur de l’acte constitutionnel lui-même. Il en résulte une doctrine décalée par rapport à son objet, car c’est bien moins en effet par la déférence accordée aux pouvoirs constitués – ce qui pourtant se donne à voir – que par l’absence véritable d’interdits constitutionnels, que l’on ne parle pas de violation de la Constitution. En tournant souvent « autour du pot », la doctrine ne souhaite vraiment pas se donner les moyens d’explorer son objet.
- Le rôle de la doctrine dans le maintien de cette absence originelle
Au-delà des théories de l’interprétation et des éléments qui donneraient à une discipline son statut de « science », la doctrine, envisagée dans nombre de ses courants, s’est très souvent empêchée de reconnaître la notion de violation de la Constitution, en ignorant toujours ce qui lui manquait le plus, l’interdit constitutionnel. En l’ignorant, elle entretient l’absence de valeur de l’écrit constitutionnel sans lui en imputer la « responsabilité ». Car si l’absence d’un mot ne signifie pas l’absence de la réalité qu’il désigne, l’absence de cette réalité pourrait être saisie par la présence du mot, mis à l’« épreuve ». Mais encore faut-il vouloir procéder à cette mise à l’épreuve. On peut ainsi montrer, avec beaucoup d’intelligence, que « l’incertitude qui affecte les notions de Constitution et de respect rend a priori peu probable que l’on puisse (…) déterminer avec certitude ce qu’est le fait de ‘veiller’ au respect de la Constitution »[45], mais c’est décidément vouloir mettre bien des obstacles à la connaissance de son objet. De même, s’il est exact que les normes constitutionnelles elles-mêmes ne recourent pas vraiment à la notion de violation de la Constitution, pourquoi y verrait-on un motif pour exclure cette idée, alors qu’au contraire, une discipline d’observation forge toujours les concepts les plus à même de lui servir d’instrument d’explicitation de son objet, pour le droit constitutionnel comme pour toutes les autres disciplines ? A pu aussi s’énoncer l’idée selon laquelle « un usage récurrent de l’expression ‘violation de la constitution’, sans être toujours justifié, contribue à la dévaloriser. Si la généralisation des violations tend à les consacrer, elle développe également un effet d’accoutumance qui entraîne une dévalorisation des violations de la constitution »[46]. Et l’auteur plus loin de constater que « bien qu’elle continuait à désigner chacune de ces interprétations comme des violations de la constitution, l’opposition de la doctrine constitutionnelle à la pratique gaullienne s’est avérée stérile, faute de pouvoir influer suffisamment les pouvoirs constitués et les citoyens »[47]. C’est montrer là que, depuis ce qu’en a dit Benjamin Constant, peu de choses ont véritablement avancé : « Remarquez-le bien, étudiez les faits, vous verrez que toutes les fois que des constitutions ont été violées, ce ne sont pas les constitutions, mais les gouvernements que l’on a sauvés »[48]. Il remarque par ailleurs que les mots ont une valeur, ceux de la doctrine aussi : « J’aime à m’étendre sur ce sujet et à la présenter sous toutes ses faces, parce qu’il est bon que les écrivains réparent le mal que des écrivains ont fait »[49]. On doit concéder que, du point de vue de l’objet de la Constitution, la tradition française semble assez différente de la tradition constitutionnelle américaine, différence qui trouve en grande partie son explication dans le fait que « depuis les origines, les Américains ont regardé le pouvoir avec suspicion ; ils s’en méfient, y voient un perpétuel danger potentiel et ne cessent de craindre qu’il ne devienne un instrument d’oppression »[50]. Le système est ainsi fondé sur l’idée d’un gouvernement faible et d’individus forts et effectuant des choix rationnels. « Au-dessus de cette multitude d’individus soupçonneux et méfiants, peuple tout-puissant, il ne peut y avoir rien d’autre que ce que ce peuple a pu consentir à céder au pouvoir dans le texte écrit qu’est la Constitution. Seconde dans la hiérarchie des légitimités, la Constitution tient une importance décisive dans la mesure où elle détermine – et elle seule peut déterminer – ce que le peuple attend du pouvoir et ce qu’il l’autorise à faire »[51]. Si, à l’inverse, on prétend faire de la Constitution une norme première, comme c’est le cas en France, on comprend qu’elle institue tout à la fois les gouvernants et les gouvernés, et les interdits qu’elle pourrait poser ne concernent en tout état de cause que les premiers, et non la relation qu’ils entretiennent avec les seconds, qui apparaît pourtant capitale dans la fondation de l’interdit. Mais au lieu de décrire cet état de fait, et de s’interroger sur cette structure constitutionnelle qui ne pose finalement pas vraiment d’interdit des uns envers les autres, la doctrine française construit des théories scientifiques aveuglantes, et préfère du même coup parler d’évolutions, de changements informels ou encore de lectures de la Constitution[52], en s’abstenant de soulever cette lacune fondamentale de la Constitution. S’il n’y a pas d’interdit, il n’y a pas de promesse de sanction, pas de violation non plus, en bref, rien à quoi accorder une valeur. Paradoxalement, en doctrine constitutionnelle, les « mots » sont plus souvent analysés aujourd’hui qu’hier, mais leur portée a été, de fait, considérablement affaiblie par l’acceptation de leur interprétation monopolistique par les pouvoirs constitués, organes de contrôle compris. S’il paraîtrait qu’il s’agit souvent d’expliciter les interprétations données, l’explicitation passe rarement par de véritables mises en perspectives des enjeux constitutionnels fondamentaux. D’ailleurs la partie dite « théorique » du cours de droit constitutionnel dispensé en première année dans les facultés de droit ne prend, et de moins en moins, qu’une place modérée ; il s’agit plus, dans le cadre de ces cours, comme des manuels qui en sont le support, de dire selon quels procédés le pouvoir s’exerce effectivement dans un ordre donné. Tant et si bien que la discipline « droit constitutionnel » se réduit à deux parties distinctes : l’énoncé des normes d’une part, et la pratique d’autre part, envisagés principalement du point de vue des procédés. S’ajoute aujourd’hui le contentieux constitutionnel dira-t-on. Il est vrai. Mais qui discute véritablement de la portée des normes relatives aux droits et libertés ou même des enjeux ou des absences d’enjeux fondamentaux des procédures constitutionnelles ? On discute la plupart du temps de la cohérence des interprétations données par le Conseil constitutionnel, mais pas vraiment de leur portée. Réduites encore elles-mêmes à peu de choses, les décisions du Conseil constitutionnel ne sont pas vraiment disséquées du point de vue des ambitions ou des absences d’ambition qu’elles portent. C’est une interprétation technique qui prévaut la plupart du temps, au corps défendant des commentateurs. Par exemple, combien de juristes portent dans l’espace public que la loi renforçant la lutte contre les violences de groupe et la protection des personnes chargées d’une mission de service public du 2 mars 2010, bouleverse certains principes du droit pénal en augmentant les peines du fait de la dissimulation volontaire de son visage, de la même manière, voire de manière plus importante, que s’il s’agissait d’infractions commises avec arme, en état d’ivresse, ou sur mineurs ? Naturellement ce n’est pas dit dans la loi, mais c’est pourtant ce qui en ressort très concrètement. Qui dira encore que la plupart des décisions rendues en matière fiscale s’appuient sur des principes contrariant le principe de justice fiscale ? N’y aurait-il pas là intérêt à développer des concepts propres à saisir ces réalités ? Qui d’autres que les juristes peuvent pourvoir à ces explications ?
La difficulté de la doctrine à reconnaître la pertinence technique du concept de violation de la Constitution ne tient pas à des difficultés techniques ou épistémologiques réelles, mais bien à une difficulté éthique. La question centrale est, chez les juristes comme chez de nombreux autres scientifiques, à la fois celle de l’ « engagement » et du détachement. L’engagement va bien au-delà de la question politique, qui n’est souvent qu’un paravent de l’absence d’engagement. Il s’agit plutôt pour le chercheur d’investir la réalité dans l’ensemble de ses dimensions, au lieu d’élaborer des constructions épistémologiques à fonction dissimulatrice. Quant au détachement, il s’agit précisément de prendre son objet tel qu’il est, extérieur au sujet qui l’analyse, indépendamment de ses perfections et imperfections qu’il a pour tâche de mettre au jour : le constitutionnaliste peut bien parfois être à l’origine intellectuelle de certains des éléments du droit constitutionnel, il reste qu’il n’en maîtrise pas, comme analyste, la production. Et puisque ce n’est pas lui qui fait et applique la Constitution, il a donc tout loisir, lui, d’en être détaché, pour admettre que, nonobstant les discours, un « manquement » peut concerner son objet. Mais alors il devra dire pourquoi et comment est-ce que c’est arrivé ; il devra investir une réalité qui le place en première ligne, celle d’introduire le débat sur la réalité de la portée des engagements politiques et philosophiques d’une organisation sociale. Il ne s’agit pas seulement de dire comment un régime politique fonctionne, mais ce que ce fonctionnement juridique révèle au plan des ambitions constitutionnelles. Serait-on par là réduit à l’alternative entre parfaite connaissance des règles et réflexion ajuridique sur le système social ? Cela serait pour le moins étonnant, si l’on tient compte du fait que les règles juridiques composent et structurent en partie le système social. Le constitutionnaliste, qui préfère être en deuxième ligne, et qui l’assume la plupart du temps, ignore ainsi presque tout de son objet. La légèreté avec laquelle les « professionnels » de la Constitution, qu’ils soient des pouvoirs institués ou des chercheurs, tiennent les ambitions sur lesquelles elle repose, n’a d’égal que l’estime dans laquelle la société politique et ses membres tiennent justement les premiers et leurs pratiques. Peut-être n’est-ce pas seulement faire preuve de naïveté que d’imaginer qu’il faut définitivement prendre la Constitution au sérieux, dans ce qu’elle dit de notre organisation ? Sans les mots d’ailleurs, il n’est pas possible de se constituer un imaginaire, d’imaginer le futur. Sans la notion de violation de la Constitution, difficile d’imaginer sa réalité même. Cette harangue révolutionnaire rappelait déjà l’autorité des mots : « Citoyens, ne vous apercevez-vous pas déjà qu’on cherche à faire vieillir le mot constitution pour le remplacer par celui de charte. Toute l’histoire attestera cette observation : les mots plutôt que les choses mènent les hommes. Il y a une grande différence entre ces deux termes (…). Tout pouvoir émane du peuple, voilà notre constitution, les Anglais reconnaissent tenir leurs franchises de leur gracieux souverain, voilà leur charte (…) Citoyens ! Cette remarque grammaticale est beaucoup plus importante qu’on affecte devant vous de le croire. Ne vous dessaisissez pas du terme constitution »[53]. Si au concept de violation de la Constitution les constitutionnalistes préfèrent, de fait, celui d’évolution de la norme constitutionnelle, ne faut-il pas relever, en forme de clin d’œil, que le terme « évolution » est bien l’anagramme de « louvoient » ?
La valorisation du constitutionnalisme, par le rappel de son ambition, semble devoir passer par la valorisation subséquente d’un concept de violation de la Constitution. Si la Constitution a une valeur, du point de vue de l’ambition qu’elle porte, il est véritablement indispensable de permettre la mise en lumière de tous les mouvements contraires à cette ambition, théoriques, épistémologiques ou structurels. Il est nécessaire de discuter en quoi une Constitution elle-même peut faillir à cette ambition et pourquoi aussi ont été brandis des obstacles théoriques et épistémologiques, pour s’apercevoir qu’ils n’ont de réalité que celle qu’on veut bien leur donner. La violation de la Constitution est une transgression des interdits constitutionnels. Pour l’heure, à la condition – non écrite mais en forme de censure – que, par de multiples arrangements, personne ne soit habilité à évoquer cette idée et tout ce qui contribue à l’invalider, tout le monde – ou presque – peut être constitutionnaliste. Schibboleth inversé du constitutionnalisme, l’expression « violation de la Constitution » servirait à reconnaître celui qui n’en est pas. Le « sacré » d’aujourd’hui se niche dans le respect d’une Constitution non fondatrice, alors qu’il devrait se situer dans la transgression des interdits qu’une Constitution établirait.
[1] C. Coste, La violation de la Constitution. Réflexions sur les violations des règles constitutionnelles relatives aux pouvoirs publics en France, Thèse dact., Paris II, 1981 ; F. Savonitto, Les discours constitutionnels sur la « violation de la Constitution » sous la Vè République, LGDJ, 2013.
[2] G. Liet-Vaux, « La fraude à la Constitution », R.D.P., 1942. p. 116.
[3] Aucun manuel de droit constitutionnel, à l’exception de celui de M.-A. Cohendet (Droit constitutionnel, LGDJ, coll. Cours, 2013), n’a d’entrée « violation » ou « violation de la constitution » dans son index. Il n’existe pas plus d’entrée dans le Dictionnaire de droit constitutionnel dirigé par O. Duhamel et Y. Mény, PUF, 1992, ou aucun autre dictionnaire ou vocabulaire de droit constitutionnel ou de culture juridique.
[4] Ces dernières années, on relève un article dont le titre fait usage de l’expression (B. Mathieu, « Les lois mémorielles ou la violation de la Constitution par consensus », Dalloz, 2006, 301), et assez peu qui y recourt dans leur contenu. On citera toutefois H. Roussillon, entrant « dans le vif du sujet », en indiquant, dans son article intitulé « Le mythe de la Vè République », qu’ « il faudra bien finir par ‘appeler un chat un chat’ et une violation de la Constitution ‘violation de la constitution’ », RFDC, 2002, n° 52, p.716.
[5] Voy. par ex. D. Rousseau, Droit du contentieux constitutionnel, LGDJ-Montchrestien, 10è éd., 2013, p.139.
[6] G. Cornu, Vocabulaire juridique, PUF, 2è éd. , 2001, p. 905.
[7] Ibid..
[8] E. de Vattel, Le droit des gens ou principes de la loi naturelle appliqué à la conduite et aux affaires des nations et souverains (1758), Paris, J.-P. Aillaud, Nouvelle éd., 1835, tome 1er, p.121.
[9] La Constitution est entendue « comme la garantie du consensus fondamental nécessaire à la cohésion sociale », M.-C. Ponthoreau, « La Constitution comme structure identitaire », dans D. Chagnollaud (dir.), Les 50 ans de la Constitution. 1958-2008, LexisNexis, 2008, p. 32.
[10] Voy. Notamment D.-G. Lavroff, « L’instrumentalisation de la constitution », dans La Constitution dans la pensée politique (Actes du colloque de Bastia, 7-8 septembre 2000), Aix-en-Provence, P.U.A.M., 2001, p. 338, et E. Zoller, « Des usages de la Constitution en France et aux Etats-Unis », Esprit, jan.2002, p.99.
[11] D.-G. Lavroff, op.cit., p. 440.
[12] Voy. H. Kelsen, Théorie pure du droit, trad. Ch. Eisenmann, Dalloz, 1962, p.256 : « La validité d’une norme ne peut avoir d’autre fondement que la validité d’une autre norme ».
[13] Dans sa dimension française essentiellement, mais un regard sur la doctrine constitutionnaliste en Europe permet de s’apercevoir de ce que le concept de violation de la Constitution comme concept autonome est également bien peu utilisé, même s’il l’est parfois plus que dans la doctrine française.
[14] Mais on peut aussi envisager l’écrit juridique, à l’époque où il se propage, comme un moyen de rendre la règle inaccessible à la plupart des individus qui ne pouvaient en avoir qu’une idée médiatisée par les lettrés.
[15] Voy. P. Amselek, méthode phénoménologique et théorie du droit, LGDJ, Paris, 1964, p. 229.
[16] S. Rials, « Réflexions sur la notion de coutume constitutionnelle » La Revue administrative, 1979, n°189, p. 266.
[17] Voir not. H.G. Gadamer, Vérité et Méthode (1960), éd. du Seuil, 1996, 2ème partie.
[18] Voir par ex. la contribution d’E. Millard dans L’architecture du droit, Mélanges en l’honneur du professeur Michel Troper, D. de Béchillon, P. Brunet, V. Champeil-Desplats, E. Millard (ed), Paris, Economica, 2006, p. 725.
[19] Voy. M. Troper, V. CHampeil-Desplats, C. Grzegorczyk, Théorie des contraintes juridiques, LGDJ, 2005.
[20] Voy. par ex. M. Troper, Pour une théorie juridique de l’Etat, P.U.F., coll. Léviathan,199, p.334.
[21] D. Rousseau, « Constitution », dans O. Duhamel et Y. Mény (dir.), Dictionnaire de droit constitutionnel, PUF, 1992, p.210. Je souligne.
[22] Ibid.
[23] F. Savonitto, op. cit., p.289.
[24] D. Rousseau, « Constitutionnalisme et démocratie », La viedesidées.fr, p. 4 du texte.
[25] D. Rousseau,, Droit du contentieux constitutionnel, op. cit.
[26] M.-A. Cohendet, « D’une violation à l’autre, Le Monde, 17 juillet 1993.
[27] Voy. particulièrement cette question dans la 2è partie de cette étude.
[28] Est totalement exclue ici la question du droit naturel.
[29] Cité par L. Israël, « Danièle Lochak : petit essai d’objectivation sociologique », dans Droits et libertés en questions, Billets d’humeur en l’honneur de Danièle Lochak, p. 340.
[30] Voy. not. L. Fontaine, Qu’est-ce qu’un « grand » juriste ? Essai sur les juristes et la pensée juridique contemporaine, éd. Lextenso, 2012.
[31] Voy. D. Rousseau, « Réponse à Pierre Brunet », Laviedesidées.fr, X. Magnon, « En quoi le positivisme – normativisme – est-il diabolique ? », R.T.D.Civ., 2009, pp.279-280, ou le travail effectif d’A. Supiot, qui met en pratique cette résolution (voy. notamment Homo juridicus. Essai sur la fonction anthropologique du droit, Seuil, 2005 et L’esprit de Philadelphie. La justice sociale face au marché total, Seuil, coll. Débats, 2010).
[32] D. Rousseau, « Réponse à Pierre Brunet », op. cit..
[33] Voy. dans le même sens, M.-A. Cohendet, Droit constitutionnel, op.cit.,p. 14.
[34] Voy. principalement H. Kelsen, Théorie pure du droit, Dalloz, 1962, p.286.
[35] Voy. par ex. les manuels contemporains d’Introduction au droit.
[36] La notion d’infraction constitutionnelle est, comme celle de violation, parfois utilisée dans la doctrine étrangère, ou en dehors de la discipline juridique.
[37] G. Cornu, Vocabulaire juridique, op.cit., p. 456.
[38] Enriquez, De la Horde à l’Etat. Essai de psychanalyse du lien social, Folio Essais, 1983, p.368.
[39] Ibid. p. 370.
[40] Ibid. p. 409.
[41] Ibid., p.364, reprenant G. Bataille, « l’interdit est là pour être violé », dans L’érotisme, Paris, Minuit, 1957, p. 72.
[42] E. Enriquez, op. cit., p. 364.
[43] Et il ajoute « les choses profanes, celles auxquelles ces interdits s’appliquent et qui doivent rester à distance des premières », E. Durkheimn Les formes élémentaires de la vie religieuse. Le système totémique en Australie (1912), Paris, Félix Alcan, 1937, p. 56.
[44] L.-M. Morfaux, Vocabulaire de la philosophie et des sciences humaines, A. Colin, 1980, p. 321.
[45] J.-M. Denquin, « Sur le ‘respect de la Constitution’ », dans D. Chagnollaud (dir.), Les 50 ans de la Constitution, 1958-2008, op. cit., p. 119.
[46] F. Savonitto, Les discours constitutionnels sur la « violation de la Constitution » sous la Vè République, op. cit., p.380.
[47] Ibid. p.420.
[48] B. Constant, « De la suspension et de la violation des Constitutions », Oeuvres politiques, avec introduction, notes et index de Charles Louandre, IVè partie, 1874, p.39.
[49] Ibid. p. 42.
[50] E. Zoller, op.cit., p. 101.
[51] Ibid., p.104-105.
[52] Voy. aussi H. Roussillon, dans son article précité, qui relève toutes les formules utilisées pour éviter à avoir à parler de Violations de la Constitution, et qui ne sont pour lui « qu’hypocrisie », p.716.
[53] Anonyme, juillet-août 1791 (Les cahiers de doléance), cité par J. Guilhaumou, La langue politique de la Révolution française, Méridiens Klincksieck, 1989, p.74 et s.