L’homme et son droit dans la société contemporaine
Aperçu analytique et critique
par Lauréline Fontaine
Texte (très légèrement modifié) de la conférence faite dans le cadre des « Rencontres de Luc », organisées par Christian Le Corvic, à Luc en Diois (Drôme) le 26 octobre 2018 dans la salle du Conseil municipal [1]
Voir aussi :
– l’interview réalisée avec Yves Glorian sur radio RDWA le 23 octobre 2018
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Nous avons tous, à un moment ou à un autre, eu ou fait une expérience de droit, que l’on peut raconter et à partir de laquelle on peut formuler des opinions :
– l’expérience du droit comme sanction, quand on est interpellé sur la route parce qu’on roule trop vite ou lorsque l’on paye ses impôts en retard ;
– l’expérience du droit comme limite, parce qu’on ne peut pas toujours faire comme bon nous semble, lorsque, à l’occasion de l’achat ou de la vente d’une maison, un professionnel du droit nous explique ce qui peut être fait et ce qui ne peut pas être fait (par exemple, vendre à une autre personne que celle à laquelle on a fait une promesse formelle et reconnue par le droit) ;
– l’expérience du droit comme facteur de justice ou d’injustice , que l’on ressent personnellement dans une situation judiciaire, ou que l’on apprécie à partir des expériences des autres, nos proches ou des personnages publics.
Le présent propos s’appuie sur l’idée qu’il y a une autre manière et d’autres manières de voir le droit, qui présentent tout autant d’intérêt pour chacun d’entre nous que les trois expériences décrites, et qui ne se limitent pas à l’apparence du « ressenti » des faits, tout en considérant que celui-ci conserve un intérêt pour la connaissance du droit. Notamment, il indique que, que nous faisions l’expérience du droit comme sanction, comme limite ou comme facteur de justice ou d’injustice, nous nous sentons la plupart du temps « extérieurs » au droit, ou, en tout cas, que nous ne faisons pas corps avec le droit. D’autres réflexions invitent cependant à s’interroger sur ce point.
Pour l’aborder, imaginons la situation suivante : nous nous trouvons dans le hall d’une gare ferroviaire, nous attendons un voyageur qui arrive ou nous attendons notre train, et là nous observons qu’un petit objet de taille rectangulaire, probablement en cuir, se déplace dans l’espace de la poche du pantalon d’une personne à la poche intérieure de la veste d’une autre, par le véhicule de la main de cette dernière. C’est bien là ce que nous avons observé, rien de plus. Mais le droit ajoute un « plus », en donnant à cette série de gestes et de déplacement la qualification de « vol ». Le « vol » n’est pas ce qui s’est passé, mais une manière de décrire ce qui s‘est passé. Ainsi, le « droit » n’est pas « donné » dans ou par la nature, il est une expression de notre manière de nous représenter les choses et notre existence. De tous temps l’Homme a imaginé comprendre et décrire la nature d’une manière qui lui permette d’envisager et de coordonner son action. Depuis la préhistoire, des interdits ont été formulés, notamment en matière sexuelle : remède à une démographie ressentie comme dangereuse, l’homme, avec l’interdit, a semble-t-il très tôt entendu agir sur le cour des événements, et entend depuis par ce moyen comprendre et interpréter le/son monde. Le droit est, comme phénomène humain et culturel, un système de représentations du monde qui permet à l’homme de vivre dans ce monde.
En tant que système de représentations, le droit n’est pas seul. Il en existe beaucoup d’autres, dont la fonction est également de situer l’homme dans son environnement : la mythologie, la religion, la philosophie, les légendes, l’économie même qui se représente un marché imaginaire à partir duquel elle pense les relations humaines.
Les représentations du monde peuvent être figurées dans d’autres choses que des mots ou des concepts : la peinture ou la danse sont aussi des représentations de l’Homme et du monde, qui ne paraissent pas moins importantes que les autres, y compris le droit, parce qu’il semble que, de tous temps, les hommes aient dansé et peint. Lorsque les chefs d’Etat se rendent en terres étrangères, ils sont souvent accueillis par des chants et des danses et sont invités à y participer. Les danses jouent ou ont joué dans beaucoup de civilisations un rôle politique majeur. Lorsque la première ministre britannique s’apprête à présenter l’accord international négocié avec l’Union Européenne pour en faire sortir le Royaume-Uni, celle-ci monte sur la tribune en esquissant quelques pas de danse sur la musique qui retentit, et toute la presse reprend l’image, qui reste comme « scène », peut-être plus que le discours qu’elle prononce ensuite.
L’existence, l’importance et la permanence d’autres systèmes de représentations que le droit invitent à se demander quelle est la place spécifique qu’occupe le droit parmi ces systèmes, et quels liens se tissent entre le droit et les autres systèmes de représentations. A partir de là, on peut commencer à aborder sérieusement la question des rapports structurels entre l’Homme et son droit dans l’espace social contemporain.
I. La place spécifique du droit dans l’espace social contemporain
Le droit présente aujourd’hui la particularité d’être une réflexion consciente et délibérée destinée à agir sur l’ensemble du corps social. Si on ne peut pas exclure que d’autres systèmes de représentations aient cette même ambition, ils ne disposent pas des mêmes moyens pour agir. Dans nos sociétés occidentales, il semble que l’histoire du droit, depuis l’écriture, soit celle d’une importance croissante accordée à la règle de droit, et au système de droit dans son ensemble, dans la structuration de l’espace social, justifiant une mobilisation des moyens mis à leur service. C’est ainsi qu’aujourd’hui, si chacun se sent plus ou moins libre de se familiariser avec les systèmes picturaux ou chorégraphiques, d’adopter ou de ne pas adopter de religion, d’adhérer de manière plus ou moins sérieuse à des croyances légendaires, le droit n’apparait pas comme un choix : son existence crée presque mécaniquement l’espace de la déviance. L’impossibilité consécutive d’y échapper, loin d’entraîner une logique connaissance du droit par le plus grand nombre, semble au contraire introduire une distance importante avec lui. Le droit apparaît à la fois implacable et en partie mystérieux car apparemment peu compréhensible souvent, et sa connaissance est laissée aux experts, les juristes. Sa qualification de système assurant la domination d’un groupe sur un autre permet par exemple d’éviter d’avoir à y penser plus complètement. Il est un fait qu’aujourd’hui l’irrésistibilité du droit est soutenue par son caractère prolifique (1) et le caractère exponentiel de sa parole (2).
1. Le droit est prolifique
Le propos n’est pas ici de dire qu’il y aurait « trop de lois ». Cela supposerait de déterminer une mesure qui permette d’appuyer un « trop » ou un « pas assez ». Et si on s’arrête sur les lois (et les normes équivalentes), on peut constater qu’en termes quantitatifs, elles ne représentent qu’une « minorité » du droit : le « reste » du droit est bien plus volumineux encore, et c’est peut-être ce « reste » qu’il ne faut pas négliger dans le droit « ressenti ».
. Que l’on sache : nous en serions aujourd’hui à un volume cumulé d’environ 11 000 lois et 130 000 décrets, qui permettent (mais n’expliquent pas complètement) qu’un peu plus de 4 millions de décisions de justice soient prononcées désormais chaque année en France, par un peu plus de 1000 juridictions portées par 85 000 agents. Ce sont aussi un peu plus de 12 millions d’amendes forfaitaires majorées, c’est-à-dire des amendes non payées à temps et qui provoquent une intervention supplémentaire de l’institution juridique. Ce sont encore un peu plus de 4,5 millions d’actes établis par ou à l’aide de près de 13 000 notaires employant 54 000 salariés. Ce sont, pour l’année 2017, plus de 30 millions de déclarations fiscales, 767 000 déclarations (juridiques) de naissances, 603 000 déclarations (juridiques) de décès, 228 000 actes (juridiques) de mariage et 192 000 Pacs. A l’ensemble de ces actes s’ajoutent les millions de décisions administratives prises chaque années dans le cadre d’environ 40 000 structures administratives (établissements publics nationaux et locaux et collectivités territoriales) à l’aide d’environ 1,9 million d’agents. On ne compte pas les opérations quotidiennes – nos achats par exemple – qui constituent toujours des actes juridiques. Et il faut encore ajouter le fait que le droit trouve aussi aujourd’hui sa source dans des institutions communes à plusieurs Etats, à l’instar des institutions de l’Union Européenne dont les actes, qu’ils soient lois, règlements ou décisions administratives (plus de 1000 actes par an aujourd’hui) ou décisions de justice (environ 1600 affaires réglées par an aujourd’hui), déterminent souvent les actes nationaux et viennent ainsi compléter le tableau de la présence quantitativement très importante du droit dans l’espace social.
. Sur le plan formel, le droit emprunte des formes diverses et ne se limite pas aux « décisions », puisqu’il faut envisager sur quoi portent ces décisions et quels types d’action elles opèrent. De la plus « violente » – en considérant que chacun estime la violence à sa propre mesure et au regard de sa propre vie – à l’instar de l’emprisonnement, d’une mesure de régulation familiale, d’un redressement fiscal ou d’un refus de nationalité, le droit apparaît aussi, et beaucoup en fait, de manière plus « indolore », mais pas forcément de manière moins contraignante : une déclaration de naissance est un acte juridique obligatoire, dont le défaut peut entraîner une condamnation à 6 mois d’emprisonnement. Chacun s’y soumet semble-t-il volontiers et le caractère obligatoire et contraignant semble être ignoré, mais pourtant bien réel (il y a des cas effectifs de sanction). Le droit peut aussi être « rétributif », qui détermine les critères d’allocation ou d’attribution de divers avantages matériels (financements divers), organiques (les diplômes et les concours) ou symboliques (citations), favorisant à la fois de la croyance dans les vertus du droit mais aussi une « mise en situation » de chacun par rapport à celle de tous les autres, et rejaillit donc sur les modalités d’intégration et d’application du droit « répressif ». Le droit s’aide lui-même en quelque sorte, mais il ne pourrait le faire sans le support des hommes de qui, résolument, on doit convenir qu’il n’est pas extérieur.
2. La parole du droit est exponentielle
Il semble que notre société ait tellement intégré le droit comme une valeur « pivot » – c’est-à-dire une valeur qui fait – ou doit faire – lien entre les membres du corps social, que tous sont envisagés comme des « agents du droit en puissance ». Tout le monde peut livrer une parole de droit, qui repose ainsi sur un vivier quasiment intarissable. Chacun est enrôlé dans l’institution juridique dont il délivre périodiquement la parole. Et pourtant peu de personnes sont « au clair » avec ce mécanisme qui n’apparaît souvent pas selon sa véritable nature. Il n’est pas forcément besoin de rappeler que l’identification généralisée de l’ensemble des membres de la population a fortement contribué à la centralisation et à l’efficacité du droit, tandis qu’il paraît aujourd’hui tout à fait « naturel » de « déclarer » – juridiquement donc – une naissance ou un décès, parole recueillie et administrée par l’institution juridique, et surtout point de départ de la configuration juridique de la personnalité de tous et de chacun. Le caractère punissable du défaut – ou du retard – de déclaration – jusqu’à 6 mois d’emprisonnement – illustre l’importance de cet acte qui repose sur l’acte et la parole des personnes concernées et qui a pour effet de « filtrer » cette parole. En effet, il existe une possibilité pour l’institution de refuser certains aspects de la déclaration, à l’instar du ou des prénoms choisis par les parents. Les parents ne doivent donc pas s’aviser de nommer leurs jumelles Nutella et Fraise, puisque celles-ci seront re-nommées Ella et Fraisine par l’institution juridique (« faits » authentiques). L’aspect libéral de notre société contemporaine implique que bien plus de prénoms sont autorisés aujourd’hui qu’auparavant, mais, le filtre est également très efficace, qui pousse les parents, en quelque sorte « naturellement », à donner des prénoms non ou peu « problématiques ».
La parole de droit n’est pas complètement spontanée. Elle s’est organisée avec le temps. D’une manière plus générale, il semble qu’il existe, en droit et par le droit, deux types d’injonctions de parole qui « invitent » les personnes à délivrer elles-mêmes une parole de droit : l’injonction de se dire, obligatoirement, auprès de l’Institution juridique, et celle de toujours dire (et faire) conformément au droit et pour le droit.
. L’obligation de se dire (ou au moins de dire ce qui est considéré comme déterminant les personnes juridiquement), est relativement large : déclarer ses enfants (et donc en partie sa sexualité), déclarer ses revenus (et donc en partie son mode de vie et sa situation dans l’espace social), se marier, se pacser ou ne pas le faire (et donc une manière de dire là aussi et sa sexualité et son mode de vie), dire pourquoi on désire le bénéfice d’une autorisation de droit (pour avoir de l’argent, pour avorter ou pour obtenir un poste, par exemple), dire quels sont sa personnalité et ses désirs lorsque, devant un juge, on est sommé de « s’expliquer »… Les différents membres du corps social sont ainsi encadrés par leurs propres paroles, qu’ils font droit et qui font leur(s) droit(s). Les programmes et les algorithmes qui « pistent » les personnes grâce à l’usage qu’elles font de leurs téléphone, tablette et ordinateur, ne sont que des versions technologiquement très améliorées de ce que l’espace social a déjà mis en place juridiquement… il n’y avait qu’à suivre le guide. Si on n’oublie pas que les algorithmes restent résolument produits et alimentés par des personnes bien humaines[2], on peut comprendre que leur fabrication et leurs effets se trouvent dans la droite ligne de la structuration historiquement cumulée de l’espace social et de la pensée humaine.
. L’obligation de dire (et de faire) conformément au droit et pour le droit, si elle se repère facilement par le fait qu’il existe une série de contraintes et de sanctions des comportements et paroles contraires, ou « déviantes », la relative faiblesse quantitative de leur mise en œuvre, au regard du nombre d’individus membres du corps social, laisse entrevoir qu’ils sont eux-mêmes d’excellents relais du droit. Le droit n’est pas « extérieur » au corps social : il fait partie de celui-ci. Le droit ne peut jamais vraiment aller contre une société toute entière : il peut diviser, il peut subordonner, mais, pour se perpétuer et se développer, il a besoin d’un assentiment général (qui ne se formalise jamais comme tel). Le droit peut avoir le support de la force, mais l’usage intensif de celle-ci limite les chances du droit lui-même de se développer dans un système donné. C’est ainsi, pour le dire vite, le « grain » de la parole des membres du corps social qui donne le ton du droit.
. Il est vrai enfin que le droit apparaît aujourd’hui particulièrement bien servi par sa propre parole : si la parole du droit est exponentielle, c’est aussi parce qu’a été mis en place un mécanisme qui la rend telle. Apparemment une simple « technique », il s’agit en réalité d’une construction sociale : toute demande formulée auprès d’une institution ou administration, quelle qu’elle soit, exige une réponse par une parole juridique. D’abord, le juge qui ne répondrait pas (même pour dire qu’il n’est pas compétent dans le cas qui lui est soumis) commettrait un déni de justice, sanctionné par le code pénal. Ensuite, s’il n’y a à proprement parler pas de « déni d’administration », c’est qu’un mécanisme de décision automatique l’a évité : en effet, si, alors qu’une demande a été formulée auprès d’une administration, celle-ci ne répond pas, l’échéance d’un délai déterminé (entre 1 et plusieurs mois) a pour effet qu’une décision est présumée avoir été prise par l’administration, rejetant ou acceptant la demande (quand il s’agit d’une demande). Et plus il y a de demandes, plus il y a d’actes juridiques, même présumés, et si insignifiants soient-ils. Ces mécanismes traduisent à la fois un « besoin de droit » évident, et, semble-t-il, une omnivalence du droit : le droit vient combler ce qui ne se pense pas autrement. Il est un recours, une manière de dire et de se dire dans le monde des hommes. Le « tout » recours au droit, que traduisent les plus de 4 millions d’actions en justice chaque année et les millions de demandes, obligatoires ou facultatives, faites auprès des administrations, créent une distance intellectuelle fictive entre l’homme et le droit et tend à faire croire tout autant à son objectivité qu’à son extériorité. Par exemple, quand le juge rend une décision, il est censé n’être qu’un juge, le droit donc, et pas une personne avec ses intérêts, ses passions, ses idées reçues. Il est censé juger « en droit », un droit qui lui serait donné tel que, sans interprétation… ce qui est impossible puisqu’il n’existe aucun énoncé qui soit « donné » autrement que dans sa matérialité d’énoncé. Au-delà, c’est-à-dire s’il s’agit de lui donner sens, il y a toujours acte d’interprétation. Dire même qu’un texte est « clair » – et qu’ainsi il n’y aurait pas à l’interpréter – est déjà une interprétation. En bref, on demande au juge, mais aussi à toute autorité dispensant une parole de droit, de faire l’impossible, en disant un droit qui leur serait donné et extérieur. Pourtant, les membres du corps social, autant que la plupart des juristes, semblent implicitement s’accorder de ce que cet impossible se réalise tous les jours. C’est ainsi un processus un peu étrange et mystérieux de penser qu’une personne peut délivrer une parole qui ne serait pas la sienne, sauf à constater qu’il ne serait pas une personne mais une machine. Le recours à l’idée de droit a pour effet de laver l’Homme de son individualité. En ce sens, l’Homme, par le droit, ne cesse de se raconter des histoires, peut-être pour supporter une réalité qui s’impose à lui, mais à la construction de laquelle il participe.
Il existe un exemple célèbre qui fait apercevoir cette structure compréhensive du droit. Il est rapporté par Louis Assier-Andrieu[3] : en 1573, à une époque de grande famine dans l’est de la France, la Cour de Dôle doit juger Gilles Garnier, accusé d’infanticide et de cannibalisme. Au regard de l’horreur des faits présentés à la Cour, celle-ci, pour juger l’homme, un homme soumis au droit, décide de recourir à la fiction du loup-garou, fiction plus acceptable que la réalité de l’homme cannibale. La Cour estime ainsi que, « s’il étrangle, égorge et dépèce des enfants, c’est avec ses mains semblant pattes » ; « s’il les dévore, c’est encore semblablement en forme de loup. Mais lorsqu’on l’arrête, il est « en forme d’homme et non de loup », privant in extremis le garou du festin carnassier dont, en tant que loup, il n’aurait pas manqué de se régaler sur le corps de sa dernière victime ». La fiction dans cette affaire n’est ni pure fantaisie ni audace, l’époque s’y prête. Les représentations à l’aide du droit ne sont jamais très éloignées des autres systèmes de représentations présents dans le corps social, que le droit intègre et fait évoluer.
II. Les liens du droit avec les autres systèmes de représentations
Les différents systèmes de représentation du monde ne sont pas isolés les uns des autres. Imagine-t-on un droit qui interdirait tout ce que les personnes ont l’habitude de faire, et qui permettrait ce que les gens ont l’habitude de ne pas faire, voire répugnent à faire ? C’est toujours possible « à la marge » du droit, mais ça ne pourrait pas être le tout du droit, ou alors il faudrait parler de « force » seulement. Les liens entre le droit et les représentations intellectuelles et imaginaires des personnes à propos du monde sont intimes. Mais ils ne sont jamais complètement les mêmes et ils n’opèrent pas toujours dans le même sens. En fonction des lieux et des époques, certains systèmes de représentations paraissent plus déterminants que d’autres, et la circulation entre les systèmes ne se fait pas toujours selon les mêmes modalités.
Dans la société contemporaine, la « toute présence » du droit semble traduire l’espoir d’une « toute puissance » du droit : on demande tout au droit, qui, ainsi, se serait substitué à tous les autres systèmes de représentation des relations sociales. Quelque chose ne va pas ? Faisons ou changeons le droit ! Il suffit de rester brancher quelques heures sur les télévisions et les radios, d’écouter les personnes aussi, pour se convaincre de la réalité de ce phénomène. Il est d’ailleurs sans doute à l’origine propre au système occidental, et le résultat d’un processus historiquement déterminé, selon lequel le pouvoir s’est en grande partie déployé par et avec le droit, avec le support nécessaire de la force évidemment. Au sortir du Moyen-Age, les autorités seigneuriales et impériales, prenant leurs distances organiques avec les autorités religieuses, ont tenté d’exercer leur pouvoir sur les personnes par le moyen de l’édiction de règles de droit. Un exemple ici peut l’illustrer pour tous les autres : en 1158, l’empereur Frédéric Barberousse (élu roi des romains en 1152 et couronné empereur germanique en 1155), promulgue l’ Authentica « Habita », acte par lequel il déclare mettre sous sa protection les voyageurs qui circulent sur ses terres pour aller s’instruire ou enseigner, notamment le droit, à l’Université de Bologne. Cet acte fait partie d’une série d’autres où autorités seigneuriales, impériales et ecclésiastiques rivalisent de pouvoir en édictant des actes juridiques réglementant les universités dans leur fonctionnement, les études et ceux qui les fréquentent, « maîtres » et étudiants. Le droit apparaît alors comme un instrument possible de ralliement et de rattachement à un même pouvoir. La victoire définitive des autorités laïques sur l’Eglise se caractérisera par la centralisation du pouvoir au moyen du droit entre les XVIè et XVIIè siècles et donne de celui-ci l’imagine d’un instrument efficace et puissant.
La philosophie libérale se déploie à partir du XVIIè siècle dans ce cadre historique où le droit a joué un rôle décisif dans l’avènement de la monarchie absolue partout en Europe. S’il s’agit alors de promouvoir la liberté – économique notamment – des individus face à l’Etat – principe initial de la philosophie libérale – cela ne semble pouvoir se faire le plus efficacement que par le droit, qu’il s’agit alors de « mettre de son côté ». Il s’agit moins de faire « contre le droit » que de faire « avec le droit ». C’est le principe même des premières constitutions écrites au XVIIIè siècle, qui ont tout à fait précisément pour objet de limiter l’exercice du pouvoir dans ses effets vis-à-vis des libertés et droits des individus, notamment en matière de propriété dont le caractère sacré est affirmé dans tous les textes constitutionnels et législatifs de l’époque (quand il ne parle pas de « human rights », le philosophe anglais libéral John Locke appelle les droits et libertés de l’homme dans la nature des « properties »). Le droit, instrument de l’absolutisme, passe alors dans d’ « autres » mains et devient la limitation du pouvoir au profit des individus, propriétaires bien entendu. C’est dans cet esprit que Michel Foucault, dans Naissance de la biopolitique (cours au collège de France, 1978-1979), parle, pour cette époque, de principe de régulation interne, et non pas externe, du pouvoir, comme principe nouveau de la rationalité politique. Ce nouveau principe du « gouvernement frugal », c’est-à-dire du gouvernement limité, passe par le droit, qui semble ainsi pouvoir jouer tous les rôles, asseoir ou limiter l’exercice d’un pouvoir, asseoir et limiter ce pouvoir dans le même temps, c’est-à-dire constitue effectivement un principe de régulation interne.
Ce qui se passe aujourd’hui dans l’espace social est une déclinaison nouvelle de cette manière de considérer le droit. Il n’y a pas d’innovation mais des prolongements, dont les effets peuvent toutefois étonner : le droit est une « arme » et fait l’objet de stratégies d’instrumentalisation (1). Dans le même temps, les usages instrumentalisés du droit réduisent progressivement l’imaginaire et la capacité représentative du droit (2).
1. Le droit est une « arme » et fait l’objet de stratégies d’instrumentalisation
Si on peut globalement s’accorder sur le fait que le droit a été instrumentalisé par les groupes d’homme qui ont réussi leur émancipation vis-à-vis de la monarchie absolue, grâce au commerce et à la propriété, soutenus par les idées, le droit se présente aujourd’hui comme s’il était l’affaire de tous qui, à différents niveaux (les uns avec les autres mais le plus souvent les uns contre les autres), l’utilisent comme une « arme ».
Ce registre de « l’arme du droit » a été popularisé en France par la sociologue Liora Israël[4], à laquelle le Syndicat des avocats de France emprunte l’expression pour nommer sa chaîne YouTube créée en 2017 (https://www.youtube.com/watch?v=h1lHUIOMnHo). Ce syndicat historique de gauche (et au départ d’extrême gauche), y présente le droit comme « l’arme de la contestation » de l’ordre établi, « l’outil de la revendication pour plus de droits pour tous, plus d’égalité, de libertés et de justice ».
Mais « l’arme du droit » n’a pas de titulaires réservés. Elle est aussi celle des acteurs économiques, qui évaluent le droit et son efficacité dans le cadre d’une guerre commerciale mondialisée : les droits sont ainsi notés en fonction de leurs « coûts » et de leurs « avantages » dans les opérations économiques. Le désormais célèbre rapport Doing Business produit chaque année par la Banque Mondiale depuis 2004, a notamment pour objet de comparer les coûts de licenciement, les plus ou moins grandes normes de protections du droit de propriété et des travailleurs, les facilités à monter une entreprise, etc. Présentée sous la forme d’un tableau de notation (par exemple : http://www.doingbusiness.org/en/reports/global-reports/doing-business-2005), l’étude a pour but de mettre les Etats en concurrence du point de vue de leurs règles de droit. Se crée ainsi, ce que Alain Supiot, Professeur de droit au collège de France et titulaire de la Chaire Etat social et mondialisation : analyse juridique des solidarités, a nommé un « marché des normes » au sein duquel un processus darwiniste est à l’œuvre, un processus de sélection implacable qui conduit les Etats à minimiser leurs normes sociales pour maximiser leurs normes entrepreunariales[5]. Sur ces bases, le tout un chacun des opérateurs agissant sur un marché peut donc élaborer à la fois des stratégies quant à ses usages du droit, mais aussi quant à la manière d’influencer le droit en vigueur, ce que, par de multiples moyens, ils ne manquent pas de faire.
Le phénomène de concurrence des droits (concurrence entre les droits des Etats, concurrence entre les droits des personnes, concurrence entre le droit des Etats et les droits des personnes), emporte que les règles de droit s’élaborent avec de moins en moins de spécificité liée aux systèmes de représentations en cours dans les différentes sociétés. La concurrence favorise l’uniformisation et rétrécit mécaniquement l’imaginaire du droit, tout en s’appuyant sur sa capacité imaginative.
2. Le rétrécissement mécanique de l’imaginaire du droit
La concurrence qui se déploie à tous les niveaux de l’espace social, et singulièrement au plan du droit, est l’indication que cette valeur, la concurrence, devient un point central, voire pivot des représentations du monde. Il semblerait en effet que les principes qui animent et sous-tendent la concurrence et l’esprit de concurrence des opérateurs économiques aient franchi les frontières du marché pour coloniser l’ensemble des espaces sociaux et des systèmes de représentations du monde, devenu ainsi un seul et unique marché. Ni la politique ni le droit n’y ont échappé, et ce dernier tend même à en être le support essentiel. Si l’on se retourne sur l’avènement du libéralisme et du gouvernement frugal appuyé et développé à partir de la protection juridique de la propriété, la configuration actuelle apparaît bien comme son prolongement sublimé : le droit apparaît de plus en plus clairement dédié à un seul et unique marché. Il ne s’agit pas seulement de dire que les opérateurs économiques se servent du droit, instrumentalisent le droit et le mettent en concurrence. Tout cela est vrai. Il s’agit aussi de dire que les valeurs qui président à l’évolution du droit, même lorsqu’il est censé ne pas concerner les activités économiques, sont, et de plus en plus, dans tous les espaces du droit, empruntées, exportées, à partir du système intellectuel que constituent la pensée économique contemporaine et l’action des opérateurs économiques. Ce système agit sur le droit – comme il agit sur toutes les autres représentations – par un effet « boule de neige ». Le droit tend ainsi à se structurer à partir et autour des mêmes données essentielles que le système économique : la rapidité des échanges, la loi du plus fort économiquement (et son corollaire la loi du « moins disant » économiquement), et la théorie de l’homme rationnel qui postule – le plus souvent implicitement – que certains dispositifs produisent mécaniquement certains effets[6]. Le droit peut aujourd’hui se lire au filtre de ces principes. Je n’en donne ici que deux exemples, l’un en matière de justice et l’autre à propos du droit constitutionnel politique.
. Le filtre économique de la justice. En 2005, l’alors premier président de la Cour de cassation proposait explicitement d’utiliser les instruments de l’analyse économique, pour « anticiper la façon dont les sujets de droit ou les agents économiques réagissent et intègrent dans leurs choix stratégiques l’incidence économique des règles de droit »[7]. Il s’agit donc bien de considérer « les sujets de droit », tous donc (et pas seulement et spécifiquement les opérateurs économiques), comme faisant des choix stratégiques et procédant à une analyse économique des règles de droit, à charge donc pour le juge d’y procéder lui aussi et de s’y former. Un usage économique du droit généralisé est donc supposé, et la justice doit s’y adapter pour elle-même en tenir compte. Et d’ailleurs, ceci n’ayant apparemment aucun rapport avec cela, la justice se transige de plus en plus : elle se transige et se négocie d’abord pour les opérateurs économiques, qui préfèrent les transactions élaborées hors du système judiciaire, auquel ils demandent une validation a posteriori, qui préfèrent aussi les procédures d’arbitrage privé valant jugement, et qui enfin survalorisent la procédure des rescrits fiscaux pour établir eux-mêmes une situation fiscale qui s’imposera ensuite au juge et à l’administration elle-même (il s’agit en quelque sorte pour des opérateurs économiques supposés « en situation de force », de payer moins d’impôt en échange du paiement de cet impôt !).
Mais la justice se transige ou « s’aménage » aussi pour d’autres acteurs que les opérateurs spécifiquement économiques, autres acteurs qui peuvent ainsi avoir eux-aussi des stratégies d’instrumentalisation du droit. Ainsi par exemple de l’usage de la CRPC, acronyme usité pour « Comparution pour Reconnaissance de Culpabilité », qui, en dépit de sa limpidité nominative, tend à faire croire à la non culpabilité car elle a pour avantage que l’affaire s’arrête et crée une illusion de situation, une sorte de publicité mensongère.
Enfin, et d’une manière générale, une forme d’ « auto-gouvernement » est promue en matière de justice, en filiation directe avec le principe du gouvernement frugal qui demande aux institutions publiques d’intervenir le moins possible, et toujours pour garantir les droits. Le droit est ainsi venu poser récemment le principe de l’obligation de médiation préalable à tout contentieux entre un acheteur et une entreprise vendeuse. Dans des domaines toujours plus nombreux, la médiation préalable ou alternative au recours à un juge tend à être désignée comme un objectif salutaire. L’hyper-valorisation du principe d’auto-gouvernement est visible sur le site internet L’officiel de la médiation professionnelle (organisme privé il faut le préciser) : tandis qu’il semble que les hommes aient pensé pendant des siècles que le recours à un tiers était le fondement d’une « bonne » justice, il y est indiqué au contraire que « le recours judiciaire consiste à abandonner le fondement de la liberté individuelle en s’en remettant à la décision d’un tiers », alors que « le recours à la médiation professionnelle consiste à maintenir la libre décision et s’engager dans la réalisation d’un projet relationnel ». Un renversement clair s’est opéré, qu’il paraîtrait difficile aujourd’hui de remettre en cause tant il semble, pour beaucoup, professionnels et profanes, « frappés au coin du bon sens ».
. Le filtre de l’homme rationnel dans la conception du droit politique. La théorie de l’état de droit élaborée dans le courant du XIXè siècle et grandement promue depuis la seconde partie du XXè siècle par toutes les grandes institutions internationales est une très belle illustration de la croyance dans l’homme rationnel appliqué au droit. Selon la théorie de l’état de droit, le droit serait un instrument quasi mécanique de la liberté des hommes dans le cadre de la société politique. Au surplus, l’état de droit serait lui-même la conséquence mécanique de la mise en place de certaines procédures et règles de droit. Pour être un état de droit, il suffirait, « grosso modo » d’adopter certaines règles de droit et de mettre en place certains dispositifs juridiques, à l’instar d’un contrôle de constitutionnalité des lois. Et c’est ainsi que l’on a fourni aux nouveaux Etats indépendants issus du bloc soviétique au début des années 1990, une « panoplie » de règles de droit prêtes à l’emploi qui les ferait devenir en peu de temps un état de droit. Il y a, dans la propagation politique de la théorie de l’état de droit et de sa (seule) version juridique, l’idée implicite mais très claire que les « bonnes » règles de droit sont celles qui reprennent à leur compte ce que la technique a mis du temps à élaborer comme déterminant les situations politiquement « bonnes ». Cette technique a un nom, l’ingénierie constitutionnelle. A l’instar des théories économiques, elle suppose qu’en élaborant tel ou tel dispositif, dans telle ou telle circonstance, on obtiendra tel ou tel résultat, presque mécaniquement[8].
Ce qu’on voit à travers l’exemple de l’état de droit, mais aussi avec la manière dont les règles de droit sont élaborées aujourd’hui, c’est que, en tant que représentation, le droit valide et renforce le rapport d’impuissance de l’homme à la nature : il s’efface devant ce qu’il déclare être « technique » et souvent même « scientifique ». On comprend par exemple la pérennité des débats sur les OGM (pour Organismes Génétiquement Modifiés) : beaucoup pensent que seule la certitude scientifique peut justifier, et fonder une interdiction en droit. On ne veut pas prendre de décision « seulement » politique, car il faut qu’elle soit scientifique, ce caractère tendant à devenir ainsi le tout du droit.
Récemment, le président du Conseil constitutionnel français s’est réjoui de ce que le Conseil avait accepté de valider la constitutionnalité, c’est-à-dire la conformité à la constitution, des décisions administratives rendues sur la base du résultat d’un algorithme, signifiant ainsi que, même avec beaucoup de précautions dont l’administration est alors censée se parer, est accepté le principe de la décision individuelle standardisée par l’usage de la technique[9]. De standards d’ailleurs il est question aussi dans la théorie de l’état de droit puisqu’il consiste à demander aux Etats de se conformer à ce que toutes les institutions européennes appellent les standards européens de la démocratie et de l’état de droit. Ces standards agissent comme des « objectifs à atteindre », symboles de l’entreprenariat érigé en principe d’action politique. L’application des standards se substitue ainsi au travail d’élaboration et de discussion censée produire dans chaque cas la décision « appropriée ». Mais si seul le résultat compte, c’est-à-dire, par exemple, être un état de droit selon des formes et des normes prédéfinies, ou être protégé de toute hypothèse de responsabilité en remplissant les conditions légales formelles d’une activité donnée (quelle qu’elle soit, privée ou publique), il n’y a plus de raisons de s’interroger et de réfléchir à chaque cas. La science et la technique l’ont déjà fait. Il suffit juste d’obéir à leur injonction et, pour la plupart d’entre nous, nous croyons au bien fondé de cette injonction.
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D’une manière générale, c’est ainsi que tous
et toutes avons tendance à penser le droit, mis en demeure de se plier à des
injonctions collectivement et/ou individuellement élaborées. Le droit est
toujours l’objet des conflits de représentations et n’est jamais neutre, en se
parant pourtant des atouts de la neutralité technique et scientifique qui en
constitue l’alibi accepté par presque tous. Le droit n’est pas une puissance
neutre contre laquelle il nous suffirait de râler ou de pester. Il agit et
interagit avec nous en permanence, nous le structurons comme il semble nous
structurer. Pouvoirs et « micro-pouvoirs » (pour reprendre encore les
analyses de Michel Foucault) se répondent et tracent une même ligne du droit.
[1] Ces réflexions, que je reprends à partir de la conférence (en y insérant parfois quelques précisions pour en faciliter la compréhension), précèdent une première forme de leur aboutissement qui prendra corps dans un ouvrage en cours d’écriture. Elles restent le plus souvent ici en forme d’évocation, sans être approfondies, sans être complètes même, d’autres éléments qui les valident, les nuancent ou les remettent en cause étant absents des propos que j’ai alors tenus. Toutefois, il me semble que cela ne nuit pas du tout à la possibilité, à partir de ces quelques éléments, de s’ « emparer » soi-même d’une réflexion sur le droit contemporain. Sauf rares exceptions, je n’indique pas ici de références intellectuelles : « tout » devrait y passer autrement, tant les présentes réflexions sont le produit de plusieurs expériences cumulées, des expériences intellectuelles, des expériences d’enseignement beaucoup, et les expériences de vie, résolument.
[2] Voyez à ce sujet l’ouvrage venant de paraître : Antonio Casilli, En attendant les robots. Enquête sur le travail du clic, Seuil, 2019.
[3] Louis Assier-Andrieu, Le droit dans les sociétés humaines, Armand Colin, 1999.
[4] Voyez son ouvrage, L’arme du droit, Presses de Sciences Po, 2009.
[5] Alain Supiot, « Le droit du travail bradé sur le marché des normes », Revue du Droit Social, 2005 (https://www.college-de-france.fr/media/alain-supiot/UPL3996549164226328299_marche_normes.pdf),
et mon analyse comparée de cette étude avec une autre parue sur un thème analogue : Analyser le droit, pourquoi faire ? http://www.ledroitdelafontaine.fr/analyser-le-droit-pourquoi-faire/ .
[6] Pour une illustration presque caricaturale de cette posture, notamment en matière d’éducation, voyez l’économiste Philippe Aghion, nommé au Collège de France en 2015 et dont la leçon inaugurale est un très bel échantillon : https://www.college-de-france.fr/site/philippe-aghion/inaugural-lecture-2015-10-01-18h00.htm
[7] Guy Canivet, « La pertinence de l’analyse économique du droit : le point de vue du juge », Les Petites Affiches, mai 2005, n° 99, p. 23.
[8] Voyez mon texte sur l’état de droit paru sur Le droit de la Fontaine en octobre 2018 : http://www.ledroitdelafontaine.fr/discussion-sur-letat-de-droit/
[9] Les décisions individuelles « standardisées » existent depuis longtemps, qui consistent pour l’administration à ranger par catégorie les différentes situations et à apposer des motifs « standards » correspondant à la situation. Mais il s’agit alors d’une technique de mise en œuvre d’un principe qui reste celui de l’individualisation des décisions, même si la pratique est contestable. Avec la décision du Conseil constitutionnel du 12 juin 2018, loi relative à la protection des données personnelles (https://www.conseil-constitutionnel.fr/decision/2018/2018765DC.htm), la technique devient principe, et, avec sa valorisation par le président du Conseil constitutionnel lui-même (journal Le Monde, 26 septembre 2018, propos recueillis par Jean-Baptiste Jacquin, https://www.lemonde.fr/politique/article/2018/09/26/fabius-si-les-revisions-sont-bloquees-la-constitution-peut-s-affaiblir_5360329_823448.html), le principe juridique devient explicitement politique.