L’avait-on vu venir ? Ce n’est pas si sûr.
Soyons heureux, car, enfin, « [N]otre Constitution clôt la quête d’un bon Gouvernement », a dit le Président de la République française le 4 octobre dernier dans son discours sur l’anniversaire de la Constitution française prononcé au Conseil constitutionnel.
Terminées donc les gesticulations sur un changement de Constitution et/ou de République, car hors de propos. Terminées aussi les centaines d’années de sciences comparatives et historiques commencées avec Aristote sur la recherche et les conditions d’un « bon gouvernement ». Nous l’avons sous le nez, ici, en France, et ce depuis 1958. Une organisation des pouvoirs qui mériterait sans doute de retoucher un peu l’œuvre monumentale d’Ambrogio Lorenzetti afin qu’elle rende gloire à notre œuvre constitutionnelle enfin réussie, après tant d’essais post-révolutionnaires ?
Certes il y a des choses à ciseler encore, mais l’essentiel a été fait. Il n’est plus question d’y revenir. La fin de l’histoire, qui oblige les constitutionnalistes à se muer, au choix, entre de purs historiens ou des agents de la parole constitutionnelle française.
Prenons donc acte de ce qu’il est indifférent que les droits sociaux régressent – ils n’étaient de toutes les façons qu’une concession de forme nous dira-t-on -, que les libertés individuelles aient été presque réduites à la santé et à une apparente sécurité, que la forme démocratique et délibérative du gouvernement soit purement et simplement oubliée, que même le contre-pouvoir de droit que pourrait être le Conseil constitutionnel ne soit qu’une antichambre du pouvoir exécutif réduit désormais à siéger dans les conditions indifférentes à l’impartialité nécessaire du juge en pays démocratiques (ainsi que viennent encore de l’illustrer deux décisions récentes, du 14 septembre rendue en-dessous du quorum nécessaire dans l’affaire Fillon, et du 28 septembre 2023 sur un dispositif législatif dont l’un des membres du Conseil ayant siégé était signataire !), ou qu’enfin le Conseil d’Etat se déclare incompétent pour ordonner la cessation de la politique des contrôles au faciès (décision du 11 octobre 2023). Pour ne donner que quelques exemples.
Il faut donc résolument penser qu’il n’y a rien de mieux que de de confier le sort d’une société politique à la vertu – ou plutôt à l’absence de vertu – de ses gouvernants dont il n’apparaît plus opportun de les soumettre aux lois. En bref, passé à la moulinette de nos institutions soixantenaires, le choix des hommes d’avoir un gouvernement des lois s’est mué en une capacité capricieuse des gouvernants à suivre leurs propres lois, une capacité à partir de laquelle pourtant peuvent s’exposer bien des œuvres philosophiques et politiques de notre histoire, en quête du moyen d’y échapper. C’est fini donc, et c’est ça la véritable « révolution », un retour à la case départ.
Lauréline Fontaine, Octobre 2023