N’ayant pas l’habitude de réagir « à chaud » à l’actualité, je laisse souvent filer quelques remarques ou observations que je peux formuler devant un événement. Une fois n’est pas coutume. Je profite d’avoir répondu quasiment « à chaud » aux questions d’un journaliste pour retenir ici ce qui ne fera pas l’objet d’une diffusion.[1]
Une version un peu plus étoffée de ce billet a été publiée comme tribune dans le journal Le Monde en date du 11 avril 2019 [2] et une lecture du propos se trouve sur le site de Lexbase.
La décision rendue le 4 avril 2019 par le Conseil constitutionnel – en partie récemment renouvelé de quelques membres – à propos de la loi dont il rappelle lui-même dans son communiqué de presse qu’elle est dite « anti-casseurs », peut à certains égards interroger. On peut sans difficulté se « réjouir » de ce que sa principale disposition permettant au préfet de prononcer des interdictions individuelles de manifester ait été censurée, mais ce serait se réjouir trop vite, comme il me semble que le font bien trop souvent les constitutionnalistes confirmés. En effet, au-delà même de la censure, il me semble intéressant de voir cette décision comme on devrait voir toute décision du Conseil constitutionnel et comme il devrait sans doute lui-même les voir, c’est-à-dire comme une occasion d’exprimer là où il se situe et comment il envisage son rôle dans une démocratie contemporaine qualifiée d’ « Etat de droit ». Si on analyse la décision de ce point de vue, on peut formuler quelques observations dont la portée ne me semble pas du tout négligeable. En effet, on peut dire que, comparée à une décision d’une autre cour constitutionnelle ou suprême rendue sur la constitutionnalité d’une loi qui porte sur des droits constitutionnellement protégés et plutôt considérés comme importants dans une société de droit, cette décision est pour le moins « courte ». Les français qui lisent les décisions du Conseil constitutionnel ont l’habitude que celles-ci soient relativement peu étayées, mais ils ne devraient pas s’y faire. D’autant que le manque manifeste d’explication ne vise pas n’importe quel type de disposition : si dans la décision rendue le 4 avril 2019 le Conseil constitutionnel se fend de quelques motifs pour expliquer la disposition qu’il censure, il est bien moins disert sur les dispositions qu’il ne censure pas. Il semble que depuis des années personne vraiment ne s’en étonne, alors que cela devrait être un grand sujet d’étonnement. En effet, il faut comprendre que si le Conseil constitutionnel prend un soin minimum à expliquer au législateur (entendez surtout le gouvernement et en l’occurrence le Président de la République qui avait saisi le Conseil constitutionnel) pourquoi il censure une disposition adoptée, il ne prend aucun soin à expliquer aux citoyens et individus concernés par ces fameux « droits et libertés constitutionnellement garantis » pourquoi il décide de ne pas censurer les autres dispositions qui pourtant ont un impact réel sur leurs comportements. Ainsi par exemple de la dissimulation du visage dans les lieux et aux abords d’une manifestation. Rappelons que dans l’espace public, une loi en 2010 avait fait de la dissimulation du visage une contravention punissable de 150 euros d’amende. Le texte présenté au Conseil constitutionnel en fait un délit, ce qui est une infraction bien plus grave, et la rend non seulement punissable de 15 000 euros d’amende, ce qui revient à multiplier la peine par 100, mais de surcroît punissable d’1 année de prison ferme. Or, sur ce nouveau délit, le Conseil constitutionnel se contente en gros d’indiquer que le texte ne méconnait pas le « principe de proportionnalité des peines ». Circulez il n’y a rien à voir. Vous citoyens pensiez que vous aviez droit à une explication du Conseil constitutionnel sur les nouvelles infractions qu’il valide, que vous étiez donc dans l’erreur. Vous n’avez droit à aucune explication digne de ce nom. Seul le législateur, entendez encore une fois le gouvernement et le Président de la République, ont droit à une explication, même sommaire. Qualifié autrefois de « chien de garde de l’exécutif », le Conseil constitutionnel en a gardé tous les atours, et même chargé de garantir les droits des personnes constitutionnellement protégés, ne s’adresse toujours pas à elles. Décidément, il y a bien quelque chose à changer au Conseil constitutionnel.
Lauréline Fontaine, 4 avril 2019
le texte de la décision du Conseil constitutionnel
[1] Un extrait de l’interview a été diffusé lors du journal de France culture de 8h le vendredi 5 avril (vers 8h15)
[2] Le texte de la tribune :

Voyez sur ce thème important du fonctionnement et de la jurisprudence du Conseil constitutionnel :
- la chronique de Marie Viennot à France Culture le 9 mars 2019, où elle rapporte les propos que nous avions tenus avec Alain Supiot sur la jurisprudence du Conseil constitutionnel en matière sociale
- La chronique de Marie Viennot à France Culture le 12 mars 2019 où, sur le même thème, elle fait aussi référence à cet article que j’avais fait paraître en novembre 2018 dans la revue Hors Les Murs, Qui a peur du Conseil constitutionnel ?